Courts métrages inédits de Kieslowski : À la source
Cinéma

Courts métrages inédits de Kieslowski : À la source

Déjà l’humour cinglant, déjà la tristesse qui vous tombe dessus comme une masse de plomb, déjà le souci de la réalité. Évidemment: Krzysztof Kieslowski, un des réalisateurs majeurs des 20 dernières années, s’est exercé l’oeil avant Le Décalogue, avant La Double Vie de Véronique et avant son dernier triptyque, Trois Couleurs: Bleu, Blanc et  Rouge.

Déjà l’humour cinglant, déjà la tristesse qui vous tombe dessus comme une masse de plomb, déjà le souci de la réalité. Évidemment: Krzysztof Kieslowski, un des réalisateurs majeurs des 20 dernières années, s’est exercé l’oeil avant Le Décalogue, avant La Double Vie de Véronique et avant son dernier triptyque, Trois Couleurs: Bleu, Blanc et Rouge. Ses grands films ont peaufiné un regard déjà existant: tout était déjà présent dans la vingtaine de courts métrages documentaires, réalisés en début de carrière.

En voici cinq, inédits, qui témoignent autant de l’artiste engagé que de l’époque joyeuse du communisme polonais à la fin des années 70. Dans la catégorie "prisonniers consentants d’un système", cet homme au visage qui ne sait pas sourire, le gardien dans Du point de vue d’un veilleur de nuit (1977), est époustouflant. Tortionnaire tranquille, il est le délateur en chef, celui qui compte les faux pas, qui dénonce dans son job comme dans ses temps libres. Il est le portrait craché d’un régime espion. Mais, finesse kieslowskienne oblige, on ne le quitte pas en voulant le tuer. Le réalisateur a capté sa dangereuse bêtise, mais aussi l’inquiétude et l’ignorance. On veut juste l’éviter.

Et puis il y a les prisonniers d’un régime qui se débattent comme ils peuvent: les passants pris en otage dans la gare centrale de Varsovie, par exemple. La Gare (1980) est un microcosme du totalitarisme, où, par le biais d’une télé abêtissante et des caméras de surveillance dignes d’un mauvais feuilleton, la plèbe pense agir selon son bon vouloir; alors qu’elle est captive d’un lieu, qui plus est, de transit. Prisonniers, les docteurs le sont aussi dans L’Hôpital (1976): 21 minutes pour faire oublier le vernis d’ER. Avec le décompte des heures d’une journée, on a un aperçu du quotidien de quelques chirurgiens d’un hôpital de Varsovie. Des hommes qui acceptent l’inacceptable: des coupures d’électricté pendant une opération, des journées surchargées, des difficultés d’approvisionnement, etc. Ils sont habitués, ce sont des fonctionnaires de la santé, indifférents, qui soignent comme on visse un boulon. Après quelques scènes particulièrement crues, ils fument et regardent par la fenêtre, la nuit: la poésie s’immisce. Le doute aussi.

Qui suis-je? Qu’aimerais-je faire? Kieslowski a planté sa caméra sous le nez de plusieurs personnes, de 2 à 100 ans, en leur posant les questions les plus simples, celles auxquelles on ne trouve jamais les réponses adéquates. Étonnantes réponses d’un enfant qui ne sait pas qui il est, d’un adulte qui ne sait plus où il en est, et de ceux qui ne le savent que trop. Et tous ont cette assurance, placide et sérieuse, qui vient après plusieurs heures de conversation: Les Têtes parlantes (1980) sont encore des têtes judicieusement choisies par Kieslowski. Attaque sans fard, enfin, contre l’absurdité d’un régime moribond, où, encore une fois, l’écoute généreuse de Kieslowski se mêle au manichéisme politique: Je ne sais pas (1977), peut-être le meilleur film du lot. Le plus long aussi, 46 minutes, que l’on passe face à un homme qui raconte sa vie: le témoignage d’un directeur d’une entreprise d’État qui, en combattant les détournements de biens sociaux de sa société, a tout perdu pour avoir la conscience tranquille. Visage de plus en plus fatigué à mesure que la nuit tombe et que son récit s’épaissit; courts moments de silence quand il allume une cigarette, plans de coupe de la façade de sa maison qui s’obscurcit: une mise en scène efficace pour une histoire terrible, allégée uniquement par un tango violent qui ouvre et clôt cette tranche de vie. Radical. Cinq courts qui en disent long: la formule tient le coup.

À Ex-Centris
À partir du 22 juin
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