Fantasia : Osez l'Asie
Cinéma

Fantasia : Osez l’Asie

Du Japon à l’Australie, en passant par Hong Kong et Majorque, Fantasia ratisse de plus en plus large, du traditionnel film de peur à la chronique sociale d’épouvante. Un éventail bariolé, souvent jouissif, parfois dérangeant (et inévitablement inégal), qui témoigne de la vigueur et de l’inventivité du film de genre.

Qu’il soit cinématographique ou non, tout festival spécialisé doit, après quelques années, ouvrir ses horizons, sous peine de redite et d’asphyxie. Fidèle à son mandat d’événement riche en émotions fortes (de l’horreur au suspense, en passant par le gore, la fantaisie, la science-fiction, le dessin animé et le polar), mais toujours aussi indéfinissable (les marionnettes y côtoient l’existentialisme), la sixième mouture de Fantasia ratisse plus large, avec une bonne vingtaine de productions hors Asie. Si Hong Kong, le Japon et la Corée tiennent toujours le haut du pavé, on pourra également découvrir, durant cette seconde semaine, des films espagnols, britanniques, néo-zélandais, chiliens, américains, brésiliens, allemands et français, toutes tendances confondues.

À tout "saigneur", tout honneur: après Dead or Alive 1 et 2, Takashi Miike change de registre, et signe Visitor Q. Ça commence dans la provocation, avec un étranger débarquant dans une famille où le père se filme en train de faire l’amour avec sa fille prostituée; et où la mère, héroïnomane, et rouée de coups par son jeune fils, lui-même martyrisé par les enfants du quartier, découvre l’orgasme en faisant jaillir du lait de ses seins. Ça bascule dans l’humour macabre, après que le père eut tué sa maîtresse, qu’il l’ait violée, que son sexe soit resté coincé dans le cadavre, et que toute la famille se réconcilie afin de tirer le paternel de ce mauvais pas, et fasse disparaître la dépouille de la victime, découpée en morceaux. Imaginez Ferreri et Pasolini collaborant à l’ère des reality shows, et vous aurez une petite idée de ce brûlot japonais, qui navigue entre cynisme et poésie, mêle grotesque et minimalisme, et qui tient du jeu de massacre.

Plus traditionnel, Kakashi suit une jeune fille à la recherche de son frère, et qui effectivement le retrouve dans un village dont les habitants vénèrent des épouvantails qui pourraient bien être des morts-vivants… Réalisée par Norio Suruta (Ring 0: Birthday), cette histoire de fantômes japonais à de beaux moments, une sobriété bienvenue, et un rythme hypnotique qui ajoute au climat d’étrangeté. Dans la catégorie "film de gangsters", Jiang Hu -The Triad Zone, de Dante Lam, se distingue par son humour décapant. Prenant pour fil conducteur le complot qui menace la vie d’un chef de la pègre de Hong Kong, The Triad Zone s’attarde plus sur des à-côtés saugrenus: un garde du corps confessant son amour pour son patron, avant de mourir pour lui; la femme du caïd qui lui confectionne un gilet pare-balles Versace; un général célébrissime, qui revient sur Terre, pour constater les dégâts; le quotidien, tantôt trivial, tantôt délirant, d’un mafieux en fin de carrière. Amusant.

Coproduit par la Warner, Sakuya, première réalisation de Tomoo Haraguchi, expert en effets spéciaux de maquillage, s’adresse à toute la famille, avec la saga d’une très jeune fille qui, au XVIIIe siècle, part combattre, avec son petit frère, un esprit des eaux élevé par les humains, les démons qui ont pris possession du mont Fuji. Des gorilles armés, des combats à l’épée, des chats géants, des esprits dansant une farandole dans une forêt enchantée, des jeunes filles transformées en poupées, une monstrueuse reine-araignée lançant du feu: on est en pleine fantaisie et, si le récit décousu risque de lasser les adultes, les enfants y trouveront leur compte.

Mettant en scène des mannequins de vitrines de magasins, et entièrement filmé en plans fixes, The Fuccon Family est d’une indéniable originalité, un peu comme si John Waters et Roy Lichenstein faisaient un remake de Papa a raison. Présentés à la télévision japonaise, le week-end, à minuit, ces sketchs délirants présentent la vie quotidienne d’une famille américaine au Japon. Crises de fous rires assurées.

Orienté Occident
Du côté de l’Occident, les fantômes, les tueurs et les esprits se portent toujours bien. En écho à Visitor Q, le cinéaste britannique Andrew Parkinson, propose un des films les plus dérangeants à être présentés, cette année. À mi-chemin entre la chronique sociale à la Mike Leigh, le délire hyperréaliste d’un David Lynch et le film d’épouvante à la Polanski, Dead Creatures suit, en parallèle, la vie de quelques jeunes Anglaises se nourrissant de chair humaine; d’un type qui ligote des passants, les interroge, puis leur transperce le crâne; et d’un jeune tueur de rue. La narration est morcelée, le montage, haché, les corps, mutilés, et la solitude, implacable. Dead Creatures est un film qui ne livre pas facilement ses clés, objet étrange où les gens ordinaires sont des monstres, et où les monstres sont des gens ordinaires. Une tranche de vie bien saignante, pour laquelle il faut avoir le coeur bien accroché.

Beaucoup plus classique, El Celo est adapté de The Turn of the Screw, d’Henry James, et montre l’initiation aux choses de l’au-delà, d’une jeune gouvernante naïve (Sadie Frost), engagée par un riche Espagnol (Harvey Keitel) pour s’occuper de son neveu et de sa nièce, dans une somptueuse demeure, pleine de portes dérobées, d’escaliers et de coins sombres, régie par une mystérieuse vieille dame (Lauren Bacall). Évoquant, de très loin, La Leçon de piano, et Rebecca, d’Hitchcock, El Celo bénéficie de magnifiques décors naturels, et de la présence de Bacall, qui teinte sa voix de contralto d’un savoureux accent hispano-british. Mais, si la mise en scène d’Antoni Aloy est soignée, les dialogues tombent à plat et Sadie Frost surjoue constamment. Dommage.

Même constat un peu tiède pour Wendigo, de Larry Fessenden, dans lequel un couple de New-Yorkais et leur petit garçon louent une maison de campagne pour un week-end. Un chevreuil heurté par leur voiture, en pleine nuit; des villageois méfiants et agressifs; un voisin dérangé et armé; un enfant qui "voit" des esprits; une amulette indienne, donnée au garçon par un homme invisible: ce thriller en mineur joue dans les plates-bandes de Delivrance, Straw Dogs, The Shining et The Blair Witch Project, sans leur arriver à la cheville. Le travail sur le son est remarquable, et un certain John Speredakos compose un inquiétant "hillbilly", mais l’ensemble s’essouffle, après un début prometteur.

C’est de Nouvelle-Zélande qu’arrive la bonne surprise. En effet, When Strangers Appear, de Scott Reynolds est un excellent petit thriller à la Duel, qui parvient à nous tenir en haleine avec trois fois rien. Serveuse dans un fast-food déserté par les automobilistes, Beth s’ennuie, jusqu’à ce qu’un jeune type blessé et trois surfers qui le pourchassent viennent mettre du piment dans sa morne vie. On ne saura pas avant la toute fin, et après quelques cadavres, qui, du fuyard ou des chasseurs, est le plus dangereux. Avec des violons à la Hitchcock, une remarquable économie de moyens, et le jeu soutenu de Rahda Mitchell, When Strangers Appear est le genre de film bourré d’invraisemblances, mais dont on veut absolument savoir la fin.

Si ce survol vous laisse sur votre faim, vous pouvez toujours vous rabattre sur des oeuvres aux titres aussi évocateurs qu’Awakening the Beast, Ebola Syndrome, Legion of the Dead, ou This Night, I’ll Possess Your Corpse. Bon appétit!

Jusqu’au 31 juillet
Au cinéma Impérial