Nuit #1 : La nuit la plus longue
Après avoir attiré l’attention des cinéphiles du monde entier avec ses premiers courts métrages, la réalisatrice Anne Émond passe enfin au format long avec Nuit #1, où elle retrouve Catherine De Léan qu’elle a dirigée dans le court Sophie Lavoie.
Comme de nombreuses personnes de sa génération, Anne Émond sentait que les choses ne tournaient pas rond lorsqu’elle a commencé à réfléchir à l’état d’esprit qui guidait les actions des gens qui l’entouraient. Alors qu’ils auraient dû s’intéresser à l’édification de grands projets de société, à la construction de nouvelles utopies ou à la recherche de solutions pour faire face aux problèmes d’ordre économique et écologique qui risquaient de les submerger de toutes parts, la majorité d’entre eux semblaient prisonniers d’un désespoir engendré par un cynisme contagieux et destructeur.
"Un matin, raconte la réalisatrice, je me suis réveillée et je me suis rendu compte que mes amis et moi étions complètement perdus. Nous n’avions pas d’emplois stables, nous n’avions pas d’argent et nous étions incapables d’avoir des relations qui duraient plus de deux mois. J’ai ressenti un grand besoin d’écrire là-dessus et de comprendre ce qui n’allait pas. J’écrivais mes réflexions comme on le fait dans un journal intime et puis, un jour, j’ai compris que ces écrits constituaient la base de quelque chose d’autre."
Le portrait d’une génération
En réfléchissant à ces problématiques, le récit d’une rencontre impromptue entre un homme (Dimitri Storoge) et une femme (Catherine De Léan) complètement étrangers s’est lentement inscrit dans l’imaginaire d’Anne Émond. C’est dans la nuit, après qu’ils se furent livrés l’un à l’autre dans l’appartement miteux de l’homme, que commence véritablement leur histoire. Alors, plutôt que de se séparer au point du jour pour ne plus jamais se revoir, les deux amants s’ouvrent lentement et se confessent leurs peurs, leurs craintes, leurs angoisses, tout ce mal-être intérieur qui les dévore depuis trop longtemps.
"Ce qui était presque une anecdote, raconte Catherine De Léan, qui trouve en Clara son plus grand rôle à ce jour, prend une tournure dramatique et se transforme en un moment décisif de l’existence de ces deux personnages. C’est une histoire vraiment sombre, mais qui est ultimement traversée par la lumière. C’est quelque chose de pressant, d’urgent, que les personnages doivent expérimenter pour poursuivre leur existence."
"Au début, explique l’actrice, les personnages sont extrêmement antipathiques. Et puis, ils commencent à s’apprivoiser, jusqu’à ce moment inattendu où ils crèvent l’abcès de leur malaise et se confient, se dévoilent l’un à l’autre. C’est quelque chose de beaucoup plus impudique que la relation sexuelle qu’ils ont connue dès les premiers moments de leur rencontre. En se confessant leurs sentiments profonds, ils se racontent qui ils sont véritablement, ce qui est infiniment plus engageant."
Entre la mer et l’eau douce
Si le premier long métrage d’Anne Émond se distingue par l’acuité de son propos, il le fait aussi d’un point de vue formel, en limitant pratiquement son espace-temps à l’appartement de l’homme et à cette nuit charnière. Aussi, plutôt que d’embrasser l’une des caractéristiques phares de tout un pan du cinéma d’auteur québécois contemporain – dans lequel les émotions passent principalement par les silences -, la réalisatrice a choisi d’offrir à ses personnages le don de la parole et d’écouter ce qu’ils avaient à dire sur eux-mêmes. Mais attention: pas sous la forme de dialogues, mais plutôt de monologues.
"Je pense que cette forme est assez radicale, explique la réalisatrice, mais il nous semblait, alors que nous répétions les scènes, qu’il y avait une cassure chaque fois que les monologues devenaient des dialogues. Pour cette raison, j’ai décidé de jouer cette carte jusqu’au bout et de me reposer sur le talent des acteurs pour laisser exploser les inquiétudes de leurs personnages."
"En réalité, poursuit-elle, je visais bien plus les émotions du spectateur que son intellect. Je ne voulais pas que mes choix formels empêchent toute forme d’identification aux personnages et que ça distancie le spectateur du film. En ce sens, j’ai tenté de ne pas trop en faire, en termes de mise en scène, afin de ne pas nuire au travail des acteurs. Je voyais leur talent, je sentais leur implication émotive et leur courage, et je sentais que je ne devais pas m’interposer entre leur travail et l’écran afin de ne pas briser ce que leur désespoir avait de fascinant et de troublant."
Je, nous et les autres
Comme son long métrage a déjà beaucoup voyagé à l’international, remportant d’ailleurs plusieurs prix au passage, Anne Émond a amplement eu l’occasion d’affronter les idées qu’elle s’était faites sur les limites de son oeuvre et de constater qu’elle avait peut-être réalisé un film plus universel qu’elle ne le croyait.
"Les problèmes que nous avons connus ces dernières années sur les plans économique et politique ont peut-être exacerbé le goût pour le genre de remises en question qu’il y a dans le film, croit la cinéaste. Aussi, même si Nuit #1 s’intéresse à ma génération, je réalise qu’il parle également aux gens des autres générations parce qu’ils peuvent comprendre, certainement parce qu’ils sont déjà passés par là, ce qu’une crise existentielle a d’inquiétant et de déstabilisant."
En fin de compte, même s’il s’interroge sur des problématiques très sombres, qu’il est un huis clos oppressant et qu’il a les allures d’une oeuvre désespérée, Nuit #1 ne fait pas dans la misanthropie et sublime plutôt les notions d’espoir et de renaissance, qui devraient ultimement supplanter le cynisme actuel des hommes.
"Même si, à la base, explique Anne Émond, les personnages sont plutôt détestables, je pense qu’on finit par avoir de la compassion pour eux. Je pense même que l’homme et la femme, à travers leurs confessions, finissent par ressentir de la compassion l’un pour l’autre. À mon sens, c’est justement cette humanité qu’ils retrouvent grâce à l’autre qui est la clé de leur rédemption."
ooo
Nuit #1
Alors que les cinéastes de sa génération préfèrent les dialogues laconiques truffés de silence, Anne Émond a eu l’audace de mettre dans la bouche de ses personnages, jeunes âmes à la dérive, des monologues-fleuves où ils déversent leur trop-plein d’émotions. Certes, quelques passages sonnent faux ou trop écrits, donnant lieu à des écarts de jeu de la part des acteurs.
Toutefois, la réalisatrice traduit avec force le spleen qui ronge cette enseignante fêtarde (Catherine De Léan, intense) et cet apatride paumé (Dimitri Storoge, à fleur de peau), faisant d’eux de proches parents du protagoniste désespéré de Laurentie de Mathieu Denis et Simon Lavoie. Ainsi, ce n’est pas le sexe montré crûment, à l’instar du sombre mais néanmoins porteur d’espoir Demain de Maxime Giroux, que l’on retiendra de Nuit #1, mais bien les douloureuses confessions que capte frontalement Émond, qui privilégie de longs plans et un montage discret dans cet âpre huis clos.
Entre deux classiques de la chanson française repris par des anglophones, Les amours perdues de Gainsbourg par Elysian Fields et Dis, quand reviendras-tu? de Barbara par Martha Wainwright, Émond évoque l’importance de la transmission des valeurs, de la culture et, surtout, de la langue. Tandis que Clara se désole que Nikolaï tourne le dos à sa culture ukrainienne, elle veut absolument partager avec lui sa passion pour Prochain épisode, bien que les mots du tourmenté Hubert Aquin lui échappent, de même qu’elle enseigne la poésie des Leclerc et Grandbois à ses jeunes élèves. Au bout du compte, c’est peut-être la fierté d’appartenir à cette culture et cette volonté de préserver cette "langue belle", comme le chante Duteil, qui permettront à Clara de trouver la force de (sur)vivre. (Manon Dumais)
Dans les années soixante, la nuit la plus longue, et la plus belle, celle des baises inattendues, cette nuit se voyait allumée au petit jour par le grand soleil de la libération de la femme. Et celle de l’homme aussi, par extention, sa sortie hors de la culpabilité néfaste imposée par une religion réfractaire au plaisir sexuel, encore plus quand il était améné à l’homme par la femme. Ce fut un combat terrible, mais au moins, cet engagement social nous jetait vite dans l’urgence d’agir collectivement, et politiquement.
Bref, la baise avait un sens, elle incarnait le désir d’affranchissement de tout un peuple,le Québec et de toute une génération, la mienne face aux vieux crédos. Elle était par ailleurs partout présente en Occident, surtout aux USA, où la guerre du Viet Nam et le racisme envers les Noirs en étaient la métaphore puissante.
Aujourd’hui, il n’y a pas de cause commune ici, même si la liberté de la femme n’est pas entièrement acquise chez-nous. Il n’y a pas de cause politique urgente qui sollicite la jeunesse, qui ne vote pas et ne fait pas de politique.
L’environnement et la voracité des banques ont quelque peu ranimés la flamme de la jeunesse il y a quelques semaines, mais très partiellement. Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je ne crois pas que j’agirais différemment que les jeunes gens dans leurs amours. Au fond, je pense que le dialogue qui prolonge leurs baises est plus intense et profond que le nôtre. Ce grand désir de parler au-delà de l’orgasme manifeste un besoin évident de reprendre la parole qu’on leur reproche de ne pas tenir dans l’espace public. Et pourquoi ne le feraient-ils pas dans la nuit de tous leurs enlacements?Sans doute, même si je n’ai pas vu le film de mademoiselle Émond, y retrouvent-ils une sorte de complicité primordiale, jusque dans leurs chicanes amoureuses, qui leur donne une identité fraiche et neuve, quand ils s’en retournent dehors dans le plein jour difficile. Il y aurait là dans ces amours beaucoup moins passagères qu’on le croit, une sorte de début d’affirmation forte des différences de cette génération face à toutes celles qui les ont précédés. Et alors si c’est vrai, il faudrait cesser de portraiturer cette jeunesse de manière grotesque, l’affublant de toutes sortes de qualificatifs injurieux ou ridicules.
C’est dans le lit partagé à la va vite que toute une jeunese est en train de se définir,peut-être, loin de nous les « affranchis », et loin du grand jour commode télévisé, qui ne cesse, entre la météo et les défaites du CH, de nous envoyer en pleine gueule ces nouvelles de jeunes qui se tuent en automobile. C’est là une infime partie de cette jeunesse insaisissable dans sa nuit, très loin de la nôtre, la nôtre qui dort dur comme ses animaux domestiques entre les quatre murs de ses rêves.
« sa sortie hors de la culpabilité néfaste imposée par une religion réfractaire au plaisir sexuel » écrivez-vous. Sans vouloir vous contredire, Jean-Claude, il semble que nous soyons encore dans un monde à la culpabilité omniprésente. Du moins, pour les 25-35 ans. Cotoyant ces « jeunes », certains (es) justifient souvent leurs aventures ou se déresponsabilisent-ils de leurs (mes)aventures, contraction d’its, en mettant « encore » cela sur le dos de l’excès de boisson. Est-ce parce que cela est dû à la persistance d’une honte biblique? Je ne saurais l’affirmer. Ce que je constate, toutefois, dans la nouvelle génération, ce sont deux tendances; il y a ceux élevés par les enfants des baby-boomers qui expriment plus aisément leur envi et leur liberté puis il y a ceux élevés par les enfants des parents de l’avant seconde guerre, plus réservés, qui attendent que le désir soit plus qu’un frémissement avant que de l’apaiser.
Catherine de Léan, lors d’une entrevue à Radio-Canada parlait justement du remord, paradoxalement, ressenti de tourner des scènes torrides : pensait à sa mère et la priait de l’excuser, pensait à son chum, Quant à Anne Émond, par malaise des acteurs, directeur photo et autres gens du plateau de tourner des scènes d’amour et aussi afin de capter la gêne et la maladresse des amants; elle a opté pour mettre en boite les scènes dès les premières journées du tournage.
D’abord dire que je n’ai pas vu le film. Mon texte est une réflexion ouverte sur une jeunesse que je fréquente avec bonheur, puisque je vis aux abords d’un grand campus universitaire. Catherine de Léan nomme clairement le malaise: le remord.
Nous, les boomers, c’était la culpabilité , une culpabilité sans issue, impitoyable. Le remord est moins lourd, moins noir qui n’implique pas une condamnation immédiate et obligatoire.
D’où mon idée que les jeunes projettent leurs délires amoureux avec plus de liberté que nous le faisions.
Bien sûr,il y a des catégories, encore ici cette maudite notion de classes sociales dans la définition des comportements humains Je vous invite, et madame DeLéan aussi, à faire attention et à ne pas sombrer dans le délire de certains idéologues de ma génération qui se sont crus obligés de classer les générations par dates de naissances et par époques, une fumisterie dangereuse qui en a fait culbuter quelques uns de nos plus brillants dans un négationisme délétère de notre modernité
Je me réjouis d’avoir devant moi une jeunesse inclassable, ce qui déplaît à toutes les élites, peu importe leur origine. Et on sera saisi d’étonnement, ou de frayeur, quand l’indignation de certains d’entre eux se sera répandue chez le plus grand nombre. En attendant, laissons-les s’aimer, c’est ce qu’ils font le mieux sans nous, qui les aimons tout de même profondément.
Dans sa présente forme, au langage plus littéraire que parlé, et avec ses longs monologues, ses silences, Nuit 1 se prêterait, dans une seconde vie, à merveille à une adaptation théâtrale; les spectateurs devenant de pur voyeur, créant chez les acteurs dénudés puis fragilisés, (j’aimerais y croire) cette atmosphère de huis clos, à la limite de la claustrophobie, les confinant plus que jamais dans leurs personnages.
Un dernier commentaire de ma part. Un oubli plutôt, moi qui suis d’un autre monde amoureux, par rapport à la jeunesse d’aujourd’hui. Maintenant, les jeunes gens doivent composer avec une autre sorte de malédiction impitoyable dans leurs rapports amoureux: le sida. Le nôtre,notre sida si je puis dire, la culpabilité morale imposée par la religion, il était d’ordre moral, tandis que le sida maintenant qui infecte l’amour sexuel, il est physique et lui aussi sans appel, malgré la thérapie qui l’endort sans le détruire.
Voilà une autre raison qui rend le dialogue amoureux entre les jeunes encore plus inévitable, et pressé d’aller au fond des choses. Que la langue y soit de nouveau mise en valeur me fait croire qu’elle s’épanouit chez eux ailleurs que dans l’écriture sans faute d’orthographe. Et on se trompe gravement si on croit bien définir la jeunesse d’aujourd’hui en la flétrissant à cause de ses difficultés à bien lire et bien écrire…
Vous faites bien de parler de la problématique du sida mais je crois toutefois que vous faites fausse route. En effet, la vague sidatique apparaissait alors que j’émergeais dans l’adolescence en 1981. La maladie méconnue, que certains qualifiaient à l’époque d’américaine car elle tardait à traverser les frontières, (pas de permis de séjour ou de passeport présume-je) faisait son apparition avec la paranoïa qui lui était associée : transmission par les baisers, salive, touché, il faut éviter d’utiliser les ustensiles du malade, porter des gants, des masques, bref, il fallait s’envelopper de la tête au pied dans un sac poubelle afin de stériliser les rapports amoureux. Bref, si vous avez vécu les beaux temps de l’amour libre, j’ai, quant à moi, subi les aléas, c’est ce que certains pensent, de cette liberté. L’amour contrarié, non, mais l’exploration amoureuse réfrénée dans son épanouissement car l’amour tue! scandait les campagnes publicitaires..
Désormais, pour plusieurs jeunes le sida semble relèver du banal : les médicamenents retardent la mort qui lui est associée. Banale vraiment cette maladie ainsi que les its, à ce point que les médecins s’inquiètent de la santé publique : les jeunes n’utilisant pas de préservatifs.
Cependant, oui il y a des jeunes épanouis, soucieux des autres, qui nous tasseront et qui prendront notre relèvent. Ils se feront le monde dont ‘ils rêvent et pourront, sinon le zapper, du moins le texter à leur guise.
Existe-t-on au-delà du cœur qui bat ? Exister au sens de la philosophie est devenu une préoccupation majeure. Je comprends que l’euthanasie soit défendue pour mettre fin aux jours de ceux qui souffrent de dégénérescence. Il faut vivre. Et vivre intensément, comme c’est le cas pour les sports extrêmes. Vivre pour contrecarrer l’indifférence d’autrui telle qu’on l’a vue à la télévision alors qu’en Chine, les passants contournaient un cadavre dans la rue comme si c’était un objet qui nuisait à leur course à la vie.
C’est le corps seul qui a pris le relais de l’existence. Pour se prouver que l’on existe, on le soumet à tous les ersatz pour prendre conscience qu’on est bien en vie au milieu d’une foule morte à autrui. Le film Nuit exploite cette dynamique de l’enveloppe charnelle comme panacée aux maux de l’âme, tel le film Toi de François Delisle, dont Anne Émond reprend la thématique. « Je baise, donc je suis », aurait peut-être écrit Pascal s’il avait vécu de nos jours. Il faut se donner l’illusion d’exister en se cherchant un outil génétique qui prouve l’historicité de ceux qui ont foulé la planète bleue.
Le corps, comme au Moyen Âge, est donc devenu un médium pour atteindre l’autre. Comme Virginie Cady l’a écrit dans son roman L’Illusionniste, « jamais on n’a eu comme aujourd’hui ce désir de se dévoiler. Jamais on n’a « ce besoin irrépressible d’être perpétuellement dans la présence de l’autre ». Élise Turcotte a repris cette idée dans La Maison étrangère en présentant une femme qui veut découvrir le monde en passant par sa chair. Ces auteures cependant se servent du corps comme moyen d’accéder à la connaissance. Par contre, Anne Émond arrive à peine à le transcender pour qu’il ne soit pas seulement un exutoire aux problèmes ontologiques.
La peau est devenue le moyen d’atteindre autrui. Le tatouage entre dans cette dynamique. Qui suis-je ? Que veux-je ? Autant de questions auxquelles on attend une réponse corporelle. Il est malheureux qu’Internet soit plutôt un filou, qui abuse de ceux qui tentent de fuir l’anonymat pour se poser devant autrui comme un être vivant, un être à part entière dans une société qui privilégie la réussite financière. Il faut réussir dans la vie, mais réussir sa vie est bien secondaire. Ne serait-ce pas là un début d’explication du suicide ?
Ce sont les réflexions que m’a inspirées ce film, qui laisse présager le pire pour notre jeunesse. Il faut dire que ma mère était bien découragée de me voir déhancher sur la musique d’Elvis Presley. Allais-je perdre mon âme pour un chanteur interdit de séjour, sous la pression du cardinal Léger, par la ville de Montréal ? C’était le début du corps comme expression de sentiments plus profonds.
Existe-t-on au-delà du cœur qui bat ? Exister au sens de la philosophie est devenu une préoccupation majeure. Je comprends que l’euthanasie soit défendue pour mettre fin aux jours de ceux qui souffrent de dégénérescence. Il faut vivre. Et vivre intensément, comme c’est le cas pour les sports extrêmes. Vivre pour contrecarrer l’indifférence d’autrui telle qu’on l’a vue à la télévision alors qu’en Chine, les passants contournaient un cadavre dans la rue comme si c’était un objet qui nuisait à leur course à la vie.
C’est le corps seul qui a pris le relais de l’existence. Pour se prouver que l’on existe, on le soumet à tous les ersatz pour prendre conscience qu’on est bien en vie au milieu d’une foule morte à autrui. Le film Nuit exploite cette dynamique de l’enveloppe charnelle comme panacée aux maux de l’âme, tel le film Toi de François Delisle, dont Anne Émond reprend la thématique. « Je baise, donc je suis », aurait peut-être écrit Pascal s’il avait vécu de nos jours. Il faut se donner l’illusion d’exister en se cherchant un outil génétique qui prouve l’historicité de ceux qui ont foulé la planète bleue.
Le corps, comme au Moyen Âge, est donc devenu un médium pour atteindre l’autre. Comme Virginie Cady l’a écrit dans son roman L’Illusionniste, « jamais on n’a eu comme aujourd’hui ce désir de se dévoiler. Jamais on n’a « ce besoin irrépressible d’être perpétuellement dans la présence de l’autre ». Élise Turcotte a repris cette idée dans La Maison étrangère en présentant une femme qui veut découvrir le monde en passant par sa chair. Ces auteures cependant se servent du corps comme moyen d’accéder à la connaissance. Par contre, Anne Émond arrive à peine à le transcender pour qu’il ne soit pas seulement un exutoire aux problèmes ontologiques.
La peau est devenue le moyen d’atteindre autrui. Le tatouage entre dans cette dynamique. Qui suis-je ? Que veux-je ? Autant de questions auxquelles on attend une réponse corporelle. Il est malheureux qu’Internet soit plutôt un filou, qui abuse de ceux qui tentent de fuir l’anonymat pour se poser devant autrui comme un être vivant, un être à part entière dans une société qui privilégie la réussite financière. Il faut réussir dans la vie, mais réussir sa vie est bien secondaire. Ne serait-ce pas là un début d’explication du suicide ?
Ce sont les réflexions que m’a inspirées ce film, qui laisse présager le pire pour notre jeunesse. Il faut dire que ma mère était bien découragée de me voir déhancher sur la musique d’Elvis Presley. Allais-je perdre mon âme pour un chanteur interdit de séjour, sous la pression du cardinal Léger, par la ville de Montréal ? C’était le début du corps comme moyen de rapprochement pour contester les conditions humaines. Elvis Presley n’avait-il pas envie de s’opposer aux mœurs de sa Tennessee natale ?