Laurence Anyways : La nouvelle Ève
Cinéma

Laurence Anyways : La nouvelle Ève

Avec son troisième film, Laurence Anyways, Xavier Dolan se paye une orgie de couleurs, de textures et de tubes des années 80.

Plusieurs critiques ont comparé Xavier Dolan à Ozon, Almodovar, Wong Kar-wai, Woody Allen et tutti quanti. Certes, le jeune cinéaste aime citer et ne s’en cache pas, et bon nombre lui prêtent des références encore inconnues de sa part. Pour Laurence Anyways, il a admis s’être inspiré du Silence of the Lambs de Jonathan Demme et du Titanic de James Cameron. Grand bien lui fasse, et à nous le plaisir d’y repérer les clins d’oeil – les vrais comme les faux.

Avant toute chose, abordons les faiblesses de ce troisième film. Alors que J’ai tué ma mère s’avérait un cri du coeur aux dialogues d’une bouleversante authenticité et que Les amours imaginaires, qualifié d’entremets par Dolan lui-même, confirmait son grand talent de dialoguiste, Laurence Anyways fait pâle figure avec son récit d’amour impossible effleurant les thèmes de la transsexualité et de la marginalité. La déception est d’autant plus grande que ce projet a eu le temps de mûrir dans l’esprit du jeune prodige.

On a beau se répéter que la transsexualité n’est que le prétexte pour faire éclater la passion amoureuse entre Laurence et Fred (Melvil Poupaud, nuancé, et Suzanne Clément, en roue libre), afin de ressentir le déchirement de cette femme prisonnière d’un corps d’homme, il aurait fallu que Dolan s’intéresse davantage à sa psyché qu’à sa garde-robe. D’autant plus que Laurence livre ses états d’âme à une journaliste (Susan Almgren, discrète).

Si la psychologie est quelque peu négligée, il en va tout autrement de l’émotion, palpable dans certaines scènes. Parmi celles-ci, mentionnons la dernière conversation entre Laurence et sa mère (Nathalie Baye, juste) et l’affrontement entre Fred et une serveuse trop curieuse (Denise Filiatrault, émouvante dans ce bel hommage à Tremblay) – lequel n’est pas sans rappeler le mémorable pétage de coche d’Anne Dorval dans J’ai tué ma mère (qui apparaît ici dans un hilarant cameo).

À l’instar des Amours imaginaires, les meilleurs moments de Laurence Anyways sont souvent dus aux colorés personnages secondaires. Ainsi, Monia Chokri brille de mille feux à chaque réplique, tandis qu’Anne-Élisabeth Bossé lui sert, brièvement, de parfait faire-valoir. Et que dire des felliniennes Five Roses parmi lesquelles s’impose avec panache Catherine Bégin? Dans un registre on ne peut plus discret, Magalie Lépine-Blondeau force l’admiration.

Directeur d’acteurs – d’actrices! – hors pair, Xavier Dolan sait aussi créer des tableaux d’une époustouflante beauté, d’une poésie rappelant l’univers des Klimt et Magritte. S’il privilégie encore les ralentis, Dolan signe aussi des scènes d’une énergie fulgurante. On pourra l’accuser à certains endroits d’être par trop esthétisant, mais on lui pardonne l’extravagance dont il fait preuve dans la scène du bal, véritable morceau d’anthologie.

Enfin, en campant son récit dans les années 80 et 90, non seulement Xavier Dolan s’est-il amusé à créer des looks incroyables pour ses comédiens, mais il a également piqué allègrement dans le répertoire pop de redoutables vers d’oreille. Ce souci de créer une trame sonore aussi accrocheuse que mémorable n’est pas sans rappeler un certain Jean-Marc Vallée. Bref, le petit Dolan est devenu grand.