Tomboy : Fille au masculin
Cinéma

Tomboy : Fille au masculin

Céline Sciamma, réalisatrice de Naissance des pieuvres, poursuit avec brio sa réflexion sur l’éveil sexuel des toutes jeunes filles.

Dans Tomboy, Grand Prix du jury des Teddy Awards à Berlin, Céline Sciamma s’intéresse à l’identité sexuelle d’une gamine aux allures masculines, Laure (Zoé Héran). Nouvellement installée dans le quartier peu avant le début des classes, Laure fait la rencontre de Lisa (Jeanne Disson), qui la prend pour un garçon. Après quelques secondes d’hésitation, Laure prétend s’appeler Michaël. Dès lors, elle vivra comme un garçon à l’extérieur de la maison. Seule sa soeur cadette (Malonn Lévana) partagera son secret.

"L’expression "tomboy" est absolument inconnue en France, et je l’ai choisie pour sa part de mystère et parce qu’elle fait un peu superhéros enfantin, explique la réalisatrice. L’équivalent français, c’est "garçon manqué", ce qui est un peu insultant, de l’ordre de l’échec. Pour moi, Laure réussit. Tomboy est construit comme un film de superhéros puisqu’elle a cette double vie, laquelle lui donne des superpouvoirs."

Laure, dont la poitrine n’est pas encore développée, goûtera à la liberté d’enlever le haut comme un garçon lors d’une partie de foot, mais devra faire preuve d’imagination pour une baignade au lac.

"J’ai vraiment construit le film sur une dynamique d’épanouissement. Avec un sujet comme ça, on se dit que ça va être un drame social sombre; or, j’avais envie d’une grande douceur, d’un film solaire, avec la joie de s’inventer. Le corps n’a pas encore dicté sa loi, on n’est pas encore sous le régime de la sexualité et de la séduction, donc on est dans l’invention, l’imagination. C’est à la fois le paroxysme de son enfance et la fin de son enfance, d’où la mélancolie."

Mue par ses instincts, Laure/Michaël s’étudie devant le miroir afin de faire disparaître toute trace de féminité dans ses gestes. Fière de passer pour un garçon, elle reviendra honteuse à la maison quand Lisa se mettra en tête de la maquiller. Elle sera aussi troublée par les avances de cette dernière, qui pourrait subitement découvrir la vérité sur son cas.

"Tomboy parle aussi globalement de l’enfance, l’âge où on peut s’inventer toutes sortes d’identités, même s’il observe un trajet éminemment singulier. Le film a plusieurs couches, il parle aussi des petits garçons, le public masculin s’identifie beaucoup à ce personnage. Le film crée de l’intimité avec le personnage, mais aussi avec soi-même, sa propre enfance. Il est construit sur un schéma narratif assez pop, comme un polar. Il y a la double vie de l’infiltré."

Alors qu’elle goûtera pleinement son identité masculine, Laure appréhendera plus que jamais le retour en classe: "Cette dynamique du thriller, elle crée l’identification et aussi quelque chose de l’ordre de l’émotion de cinéma, un trajet qui peut sembler lointain pour soi. Je voulais que ce soit une expérience et non un film nostalgique sur l’enfance avec un discours, mais vraiment au présent et dans la sensualité de cet âge-là", conclut Céline Sciamma, qui souhaite poursuivre l’exploration de la sexualité à travers le cinéma de genre.

Les frais du voyage à Paris ont été payés par Unifrance.

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Tomboy

Raconté à hauteur de préadolescents, ce tendre et lumineux Tomboy illustre admirablement bien la simplicité et la cruauté des rapports entre garçons et filles sur le point de quitter l’enfance, tandis que les corps se transforment peu à peu et que le sexe de l’autre devient source de mystère, d’attraction ou de répulsion. Évoquant Ma vie en rose d’Alain Berliner, la fantaisie en moins, Tomboy ne se perd pas en dialogues psychologisants, la réalisatrice préférant s’intéresser aux actions, révélatrices, de Laure/Michaël (Zoé Héran, juste et naturelle). Offrant une subtile réflexion sur la complexité de l’identité et de l’orientation sexuelles, Céline Sciamma raconte par petites touches cette histoire de fillette en crise identitaire tout en sachant maintenir parfaitement le suspense jusqu’à l’éclatement de la vérité.