Camion : Hommes à la dérive
Après avoir valu le Prix oecuménique et le Prix du meilleur réalisateur à Rafaël Ouellet au Festival international du film de Karlovy Vary, Camion, drame prenant porté par le superbe trio d’acteurs que forment Julien Poulin, Patrice Dubois et Stéphane Breton, ouvre en beauté le 2e Festival du film des Cantons-de-l’Est… avant d’aller conquérir le public de Toronto.
Alors qu’il songeait à tourner un film-laboratoire sur son père camionneur et son frère, Rafaël Ouellet, craignant que le résultat ne soit plutôt ennuyant, a alors imaginé une fiction mettant en scène un camionneur. Lui est apparu le visage de Julien Poulin pour ce rôle, puis celui de Patrice Dubois, qu’il avait dirigé dans Derrière moi, dans le rôle du fils, ainsi que celui de Stéphane Breton, qui avait joué sous sa direction dans un court métrage improvisé à Regard sur le court, pour incarner le second fils.
Film abordant la dépression, la dérive et la délinquance, Camion marque une première incursion du cinéaste de Dégelis dans la psyché masculine. "Quand j’essaie d’écrire pour des hommes, c’est tout le temps très proche de moi, explique le réalisateur qui cite Bergman, Allen et Fassbinder comme sources d’inspiration. Quand j’écris pour des filles, je peux plus partir dans une fiction, avec ce que ça a de bon et de moins bon. Je me suis embarqué sur un terrain assez personnel: un village, un père, deux fils. Ce n’est pas un film autobiographique, mais ça fait partie de moi. J’ai quand même fait l’effort de brouiller les pistes afin que les deux frères ne soient pas mon frère et moi, mais mon frère ou moi, ou même complètement autre chose."
Pour ce récit d’un père en dépression, après un accident mortel de la route, Rafaël Ouellet s’est inspiré d’un accident de camion que son père a subi aux États-Unis. Durant deux longs mois, alors que le camionneur ignorait si la victime allait le poursuivre ou non, le réalisateur se souvient d’avoir vu son père traverser des zones dépressives, rongé par la culpabilité. Ouellet s’est alors demandé si la mort pouvait changer quelqu’un.
"Humblement, j’ai des affinités avec le personnage qui m’a été présenté, à cause du sujet, de la personnalité, reconnaît Julien Poulin, qui a bénéficié de l’expertise du père du réalisateur. En lisant le scénario, j’ai senti dès le départ que c’était un jeu en retenue. Ce que j’aimais, c’est que ce n’est pas un film de mots: on voit les personnages, on les sent, on est avec eux. Au début, on joue nos scènes seuls, et ensuite, nos personnages se rencontrent. On voit alors l’unité de jeu."
Outre cette mort qui hante le père Racine, on remarque l’absence de la mère, comme c’était le cas dans Le cèdre penché, son premier long métrage. "La perte m’intéresse, confesse Ouellet. J’ai grandi dans un village où l’on perdait en moyenne deux amis par année, où il y avait un haut taux de suicide et plusieurs accidents de la route. La 185, avant qu’elle soit refaite, était la route la plus meurtrière au Québec. Cette perte-là habite longtemps: New Denmark et mon prochain film portent là-dessus; Derrière moi est aussi un prologue à la perte. J’essaie de ne pas trop nommer ou identifier ces thèmes, sinon on court… à notre perte. Il n’y aurait rien de pire que d’écrire en fonction de nos thèmes. En général, dans mes films, la présence parentale a été évacuée; c’est la première fois qu’il y a un père à l’écran. La présence parentale se fait remarquer par son absence; elle est là, mais on ne la voit pas."
Paroles d’hommes
Réunis chez leur père, les deux frères constateront que ni l’un ni l’autre ne semble heureux. Samuel (Dubois) ne s’est toujours pas remis d’une peine d’amour vieille de 18 ans; Alain (Breton) ne travaille plus depuis qu’il s’est blessé au bras. Bien qu’ils se ressemblent, la communication n’est pas très aisée entre eux.
"Ce sont des hommes de peu de mots, des hommes de l’intérieur, explique Patrice Dubois. Il y a un héritage qui vient beaucoup du père. Alain est un homme de plein de mots, mais ça ne veut pas dire qu’il s’exprime davantage. Cette espèce de dualité est un bon point d’ancrage pour entrer en soi. À ce compte-là, ils sont représentatifs de l’homme québécois."
Grâce au personnage d’Alain, dur à cuire qui cache sa fragilité derrière sa désinvolture, on arrive à mieux pénétrer l’univers morose de la famille Racine. "On ne m’a pas souvent vu dans des rôles comme celui-là et je ne sais pas pourquoi Rafaël a pensé à moi pour jouer Alain, avoue Stéphane Breton, retenu au théâtre pendant le Festival de Karlovy Vary. Je sais que je porte une bonté mais aussi une grande agressivité, et c’est le fun de la laisser passer. Le personnage a été adouci, même s’il rue encore dans les brancards. Dans le trio, c’est celui qui est le plus spontané, qui va dire des choses que personne ne veut entendre, qui va les brasser parce qu’il veut lui-même se faire brasser. Alain dit ce qu’il pense et les autres sont si renfermés qu’il devient le comic relief."
Parmi les scènes mémorables du film, notons la partie de chasse, beau clin d’oeil à La bête lumineuse de Perrault (film fétiche de Ouellet), où Samuel, le plus doux, le plus effacé du trio, montrera un aspect insoupçonné de sa personnalité: "Je pense qu’à ce moment-là, il est à un tournant de sa vie; il saisit l’instant, avance Dubois. Quand Sam décide d’aller chercher Alain et d’aller aider leur père, il ne sait pas ce qu’il fait, il ne fait que réagir. Au moment de la chasse, c’est son réflexe de survie qui s’incarne en lui. Comme je le disais à Rafaël, il fallait qu’il fasse un pas, qu’il ne reste pas derrière les deux autres."
Julien Poulin poursuit: "Mon personnage tue quelqu’un accidentellement et ça l’amène au bord de l’abîme. Ses fils reviennent le soutenir et par le rituel de la chasse, ils se ressoudent autour de la mort."
"Ce matin, en revoyant la scène de la chasse, elle m’est apparue encore plus importante. Il y a quelque chose du rituel, du festin dans cette réunion. Ce que je trouvais intéressant, c’est que le père prenne le relais lorsque Patrice n’arrive pas à tuer, mais ensuite, c’est lui qui prend la place du père lorsqu’il sent le danger, tandis qu’Alain est figé. C’est une belle danse à trois. Il y a quelque chose de mystérieux dans la mort, et dans ce cas-ci, elle les révèle à eux-mêmes", conclut Stéphane Breton.
En salle le 17 août
Au Festival du film des Cantons-de-l’Est le 16 août
www.festivaldufilmdescantonsdelest.com
Les frais du voyage en République tchèque ont été payés par le Festival international du film de Karlovy Vary.
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Camion
Dépressif après avoir subi un accident de la route, un veuf vivant à Dégelis (Julien Poulin, bouleversant dans l’un des plus beaux rôles de sa carrière) appelle son fils habitant Montréal (Patrice Dubois, d’une grande sensibilité) pour lui faire part de son désarroi. Ce dernier va alors chercher son frère qui vivote à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick (Stéphane Breton, d’une énergie conquérante). La rencontre ne sera pas des plus chaleureuses, les trois hommes exprimant difficilement leurs émotions.
Avec Camion, Rafaël Ouellet signe certainement son film le plus mûr, le plus abouti, tant sur le plan du récit que de la mise en scène. D’une sensibilité évoquant celle de Podz dans sa façon d’illustrer l’incommunicabilité, le réalisateur se montre en pleine possession de ses moyens en traçant trois portraits d’hommes à la dérive d’une vérité remarquable.
Hormis la percutante scène d’accident, tournée en un seul plan éloigné d’une redoutable efficacité, Ouellet ne mise pas sur le spectaculaire pour raconter son récit. De fait, s’étant acquitté lui-même du montage, il prend le temps de bien installer chaque personnage dans son univers distinct avant de provoquer leur rencontre. Du coup, s’installe entre eux et le spectateur un lien de familiarité qui évoluera tout au long du film.
Doucement bercé par la musique aux accents folk de Viviane Audet et Robin-Joël Cool, Camion doit beaucoup à la direction photo de Geneviève Perron, laquelle lui confère une atmosphère feutrée tour à tour oppressante et apaisante. Lorsque tombent les premiers flocons de neige, cette mélancolique lumière automnale affiche une éclatante fraîcheur rédemptrice.
Dans le film «Camion», c’est une cellule familiale, composée du père et de ses 2 fils, qui est à l’honneur. Ce film est donc très loin d’un thriller comme celui de Steven Spielberg avec son film «Duel». Le camion n’est qu’un accessoire dans ce film de Raphaël Ouellet. Dans un genre psychologique, les personnalités de ces 3 personnages semblent aux antipodes, certains étant introvertis (Germain et Manuel) alors que l’autre (Alain) est extroverti. Il y a quelques moments forts comme cette collision auto-camion ou ces saignements de nez alors qu’un personnage se nettoie une narine : réactions du public à ces occasions. Le scénario nous fait passer d’une saison à une autre. La diversité des personnages interprétés par Julien Poulin (le père) est surprenante quand on se rappelle celui d’Elvis Gratton. La détresse masculine semble être le fil conducteur de ce film qui était présenté dans notre ciné-club local.
Oups! il y a une petite erreur dans le nom du réalisateur : c’est Rafaël Ouellet et non pas Raphaël Ouellet. De plus l’incident, lors de la scène de chasse, me semblait tiré par les cheveux : c’est un ajout à mon commentaire.