Je n’ai rien oublié : Destins parallèles
Par amitié pour Bruno Chiche, Nathalie Baye tient un petit rôle dans Je n’ai rien oublié où elle retrouve son comparse de longue date Gérard Depardieu.
Lorsqu’un cinéphile assiste aux retrouvailles à l’écran de deux monstres du cinéma, plusieurs images lui reviennent en tête comme si le nouveau couple qu’il voit s’incarner devant ses yeux lui était déjà familier. Ainsi, en voyant Nathalie Baye jouer l’ex de Gérard Depardieu dans Je n’ai rien oublié, c’est le couple du Retour de Martin Guerre qui revient à l’esprit. Outre le couple Baye-Depardieu, les deux films partagent des thèmes pas si lointains, soit l’identité et la mémoire.
"Dans Je n’ai rien oublié, je retrouvais Gérard Depardieu pour la sixième fois, se souvient l’actrice. Mon premier engagement professionnel, c’était au théâtre avec lui, je n’étais pas connue, lui non plus; c’est une longue histoire avec Gérard. Là, c’est un petit peu différent dans la mesure où il y a la mémoire d’un homme atteint de la maladie d’Alzheimer, laquelle est très précise lorsqu’elle est lointaine et s’efface comme un tableau magique au présent. Dans Le retour de Martin Guerre, il s’agissait d’un homme qui a mémorisé tous les détails de la vie d’un autre."
Ami de Nathalie Baye depuis ses débuts comme assistant réalisateur – elle a d’ailleurs tourné dans son court métrage Le pinceau à lèvres et sa comédie Barnie et ses petites contrariétés – et admirateur de Gérard Depardieu, Bruno Chiche était plus que ravi d’avoir à les diriger dans cette adaptation de Small World de Martin Suter.
"C’est impossible de ne pas penser aux films qu’ils ont déjà faits lorsqu’on écrit des scènes pour des acteurs aussi magnifiques et qui se connaissent aussi bien que Gérard et Nathalie. J’adore les voir marcher dans la rue main dans la main; ce n’est pas leur histoire dans la vie, c’est une histoire qui m’appartient et qui n’était pas dans le roman, mais qui leur appartient aussi. Quand ils se regardaient avec amour, j’avais l’impression de ne pas être à ma place, mais c’est pour ça qu’on fait ce métier: on ne se contente pas de filmer une scène entre deux êtres qui s’aiment, on filme l’amour… et un peu l’histoire du cinéma."
Je n’ai rien oublié met en scène une famille bourgeoise, les Senn, où règne l’impitoyable Elvira (Françoise Fabian), qui s’inquiète des conséquences sur sa famille de la maladie d’Alzheimer de Conrad (Depardieu), ami d’enfance de son fils Thomas (Niels Arestrup) et gardien de la maison de vacances de la famille. Négligée par son mari Philippe (Yannick Renier), fils de Thomas, Simone (Alexandra Maria Lara) découvrira de sombres secrets de famille en se liant d’amitié avec Conrad.
"Ce que j’ai aimé dans Je n’ai rien oublié, c’est le côté romanesque, avoue Nathalie Baye. Dans les histoires de famille, il y a toujours des secrets. Autant en littérature qu’au cinéma, il y a des non-dits et subitement, on découvre des choses qu’on estimait trop dramatiques, honteuses, pour pouvoir les dire. Pour le personnage hermétique joué par Françoise Fabian, on sent que c’est impossible de vivre la vérité."
En adaptant ce roman jugé inadaptable, Bruno Chiche s’est servi de sa mémoire sélective pour donner vie à cette famille suisse qu’il a francisée: "On lit un bouquin, on en tombe amoureux et après, il faut le refermer et le réinventer. C’est là qu’on s’aperçoit de ce qu’on a retenu. Un autre réalisateur aurait peut-être fait le contraire."
Quant à la maladie d’Alzheimer, il a voulu en illustrer l’aspect étrange, mystérieux: "Je n’ai pas voulu faire un documentaire sur cette maladie. Ce qui me fascine dans celle-ci, c’est que les garde-fous sont partis en vacances. La vérité la plus profonde et la nature reprennent le devant, et c’est souvent un véhicule vers l’enfance. L’enfant qui est en nous devient l’identité la plus forte, prend le pouvoir sur tout le reste. Avec Gérard, ce n’était pas très compliqué parce qu’il aime convoquer l’enfance… ce n’est pas reposant, mais très enrichissant."
Les frais du voyage à Paris ont été payés par Unifrance et les Films Séville.
En salle le 17 août
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Je n’ai rien oublié
D’une élégance rigide et surannée, cette adaptation à la fois fidèle et personnelle du roman Small World de Martin Suter vaut le détour surtout pour ses numéros d’acteurs. Ainsi, comment résister à Françoise Fabian qui s’amuse follement à jouer les vilaines matriarches, tandis que Gérard Depardieu incarne avec une candeur désarmante un homme happé par ses souvenirs d’enfance? Si Je n’ai rien oublié rappelle par son illustration ambitieuse d’une famille bourgeoise le cinéma de Chabrol et les romans de Mauriac, on ne saurait avancer que Bruno Chiche réussit pour autant à les égaler. Quant à l’aspect thriller de ce drame de moeurs, les ficelles sont parfois si grosses et les clichés, à l’avenant que le tout frôle par moments la farce sinistre.