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De l’intimidation… Les cours de diction.

Je viens de Montréal-est. Ce n’est pas très loin mais c’est le bout du monde en transport en commun. En voiture, par l’autoroute, sortez quand vous voyez les raffineries. Suivez la fumée. Vous ne pouvez pas vous tromper. Mon arrière grand-père, notaire, y avait construit une maison au début du siècle dernier sur la rue Notre-Dame. Ma grand-mère y est née. Mon père aussi. Il n’en est jamais parti. C’est donc là que j’ai passé mon enfance avec mes parents et mes grands-parents, dans la même maison.

À mon grand dam ma mère qui venait d’Outremont –et qui n’était pas exactement enchantée de vivre dans un quartier ouvrier, m’avait inscrit très tôt à des cours de diction. Chez madame Paradis, une française de Pointe-aux-trembles. On y apprenait des fables de Lafontaine et du Prévert. J’ai beaucoup aimé ça sur le coup. Mais quand est venu le temps de parler de « chasse d’eau », de « beurre d’arachides » et de « cintres » à l’école, j’ai eu comme un regret. Sans compter qu’elle s’était mise en tête de tisser elle-même nos vêtements. Disons que le poncho home made n’était pas tout à fait le meilleur moyen d’être populaire à Montréal-est.

Un peu comme partout ailleurs, dans les couloirs de l’école, certains se faisaient tasser dans le mur ou dans les casiers. J’en étais. « Tasse-toi le slomo » que les toxons grognaient. Les suiveux rigolaient. Gnan gnan gnan. « dans les dents le gros ». C’était comme ça. Tu avais deux choix dans l’est : jouer au hockey ou jouer au hockey. La mise en échec était l’argument le plus utilisé dans à peu près toutes les conversations. Et comme on sait, le hockey, c’est un sport d’équipe. Collectionner les insectes et faire des expériences de petits débrouillards, ce n’était pas le gros truc pour faire partie du club. Honte à moi, encore aujourd’hui, je patine comme une autruche. Pire encore, mon père insistait pour me convaincre que les patins de sa jeunesse étaient encore à la mode. Chaque sortie à l’aréna (à peu près la seule activité spéciale) était un calvaire.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours pris un malin plaisir à me moquer d’eux. Les toxons je parle. Les gros bras. C’est ce germe qui a poussé très tôt dans mon esprit. Celui du cynisme peut-être. « Cause toujours ducon, tu ne m’auras pas ».

Je n’étais pas un nerd complet. Je n’étais pas non plus une victime. J’étais quelque part entre les deux. Disons un moyen. Pas un médiateur. Juste un moyen. Je lisais des Achilles Talon et ça me faisait vraiment rigoler de penser que tous ces gaillards si habiles pour plaquer dans les casiers n’y comprendraient rien. Trop de mots pour eux.

Je n’avais pas peur. Enfin, oui… Un peu. Des fois. Ils étaient vraiment gros et apprenaient à se battre sur la glace à tous les jours, crinqués par leurs parents. Ils me semblaient immenses en fait. Mais ils étaient cons. J’avais la très ferme conviction qu’ils pourraient me planter, une fois, deux fois, trois fois, mais qu’ils ne pourraient pas m’anéantir. Je me disais que même dans le coma, je les trouverais encore cons. Ça m’amusait.

Et c’est de ça dont je voulais vous parler justement. La peur. Car c’est ça, intimider. C’est faire peur. Et être intimidé, c’est avoir peur.

Intimider signifie rendre timide, remplir de crainte.

Se tirailler, se moquer, insulter et frapper même, ce n’est pas intimider. Les enfants, les jeunes, les adultes et les vieillards font ça depuis la nuit des temps. C’est même parfois assez amusant et certains en font un métier. D’ailleurs, Guy A Lepage et ses comparses de RBO qui ont inventé l’expression « slomo » en se moquant des pas-vites (insulte que les toxons nous servaient à satiété en nous faisant des jambettes) ont été salués récemment par l’Assemblée Nationale pour l’ensemble de leur œuvre composée essentiellement dans le registre de la moquerie et de la raillerie.

Le problème est ailleurs. L’essence de l’intimidation, c’est la peur, la crainte. On emploie d’ailleurs cette expression dans un contexte militaire : « manœuvres d’intimidation »… Ça signifie simplement : « regarde, je suis plus fort, je peux te planter et tu seras détruit.». Si vous n’y croyez pas, l’intimidation tombe à plat. Si vous y croyez, vous êtes cuit.

Ne pas croire et ne pas craindre. Tel est l’enjeu. Partout. Toujours. Les sultans d’arénas et ceux qui marchent à leur suite, les chefs de carré de sable, les champions de la ruelle. Ne pas les croire. Du toc tout ça. J’en ai été très tôt convaincu.

Apprendre à marcher dans la marge, ne pas suivre la tendance, refuser de se laisser influencer, de se mouler au groupe, de faire comme tout le monde. Je ne sais pas si de telles choses pourraient s’enseigner à l’école… Il s’agirait d’encourager l’originalité et la marginalité.

En somme, il ne faudrait peut-être pas tant lutter contre les toxons que contre la peur… La peur des intimidés, certes, mais aussi, et peut-être surtout, la peur de tous ceux qui marchent en rang en silence, influencés, sans rien dire. Plus facile à dire qu’à faire, surtout dans un contexte où, justement, on apprend à marcher en rang et à se mêler de ses affaires pour éviter les soucis. Craindre l’autorité fait partie des choses qu’on nous enseigne…

Il m’est souvent arrivé de repenser à ces fameux cours de diction qui m’avaient valu les railleries de mes camarades lors de mon arrivée à l’école. J’ai réalisé plus tard que finalement, ma mère m’avait sans doute offert la meilleure des forteresses possible. Les mots. L’imaginaire. C’était mon refuge, mon abri, un endroit où je pouvais me cacher en sachant que les toxons n’avaient pas la clé pour entrer. J’ai compris plus tard que ces cours avaient sans doute été la voie m’aiguillant vers le local de musique de la polyvalente, mon cartable où je gribouillais de la poésie, le journal étudiant et tant d’autres endroits où j’ai pu me faufiler.

J’ai aussi souvent repensé à ces quelques toxons. Sans grande malice. Avec un certain amusement. J’en ai revu quelques uns au hasard de mes retours occasionnels dans l’est de la ville. Sans aucune amertume, je dois bien l’avouer… Leurs heures de gloire sont désormais chose du passé. Je me dis qu’eux aussi, finalement, auraient bien eu besoin d’être reconnus pour leur marginalité et, peut-être, de quelques cours de diction.