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Un dilemme d’éthique médiatique : Les politiciens chroniqueurs

Dans la foulée du débat sur le pompage des talents auquel se livre le Huffington Post sans payer de redevances afin d’enrichir les investisseurs d’AOL America Online, une question éthique est demeurée en suspens. Une question plus complexe à laquelle je me bute depuis quelques semaines sans vraiment pouvoir fournir une réponse définitive. Le pompage des ressources culturelles, c’est une question simple : Tu viens chez moi, tu pompes une ressource pour en tirer profit, tu dois partager équitablement tes revenus. Point. C’est facile. Pas de lézard.

Mais l’autre problème que je dois affronter me semble plus complexe. Depuis que nous avons ouvert les blogues du Voir en mettant sur pied un système de redevances, quelques politiciens ont pris contact avec moi. Certains ayant été approchés par le Huffington Post, d’autres non. Tous m’avouaient être beaucoup plus « éthiquement à l’aise » avec notre proposition et souhaitent donc venir bloguer au Voir.

Jusqu’à maintenant, j’ai refusé. Je crois parler au nom de tous mes collègues en vous avouant que nous ne sommes pas du tout confortables avec ce nouveau rôle de « politicien-chroniqueur » à qui on cède un espace dans un « média d’information ». Dès que la question a été soulevée entre nous, j’ai maintenu cette position : un espace média pour vendre un programme électoral ou une ligne de parti, ça s’appelle de la publicité. Ça se paie.

Je n’ai pas de scrupule à offrir une tribune à un blogueur militant ou sympathisant de telle ou telle cause ou parti politique. Je n’ai aucun problème avec des citoyens bien situés sur le marché de l’idéologie. On sait, par exemple, à quelle enseigne logent Jean-François Lisée ou Joseph Facal. Parfait. Ça me va.

Mais un député, un élu, un chef de parti ou un attaché politique, dans la mesure où leur tâche consiste plus à vendre un programme que de le soumettre au crible de la réflexion et éventuellement de la discussion, je ne suis pas enchanté à l’idée de leur « donner  » une tribune. Si un politicien souhaite acheter une page dans notre hebdo ou un espace sur notre site afin de faire la promotion de son parti, ça me fera plaisir de lui présenter un représentant des ventes.

Tous ne s’en font pas avec ce problème éthique qui m’apparaît pourtant évident. Les recruteurs du Huff Post ne semblent même pas se poser la question et n’hésitent pas à enrôler des élus et des politiciens actifs en leur faisant miroiter le grand bonheur d’une tribune « achalandée  » -il faut du culot quand même pour qualifier d’achalandé un site qui n’existe pas encore, mais bon, on n’en est pas à une imprécision près…- où ils pourront se dissimuler, déguisés en chroniqueurs, parmi les blogueurs foodies, les amateurs de musique ou de cinéma et tant de choses encore. Certains politiciens ne semblent pas non plus y voir un problème. Yves-François Blanchet du PQ avouait, en décembre, que l’idée de pouvoir s’adresser aux électeurs « sans le filtre des médias  » était à ses yeux un avantage certain… On n’a pas de difficulté à le croire…

Je précise au passage que je suis loin d’être un puriste. Je n’ai aucun problème à considérer les nouveaux médias, notamment les blogues, comme un format publicitaire. Je propose même à des annonceurs de choisir un blogue sur notre site au lieu de bannières afin de faire la promotion de leurs productions culturelles. Voilà un nouveau format original, plus performant qu’une bannière, pour lequel les clients paient. Ça me va. C’est le jeu auquel on joue. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour des politiciens…

Mais, car il y a un mais, dans cette réflexion, je suis rattrapé par une autre question éthique. Je me retrouve donc devant un dilemme… Si je considère que les médias sont aussi des agents politiques –et il me semble difficile de contredire cette affirmation- qui jouent un rôle de premier ordre au sein des débats sociaux, n’avons-nous pas, aussi, la responsabilité de permettre aux politiciens de se faire entendre? La publication de lettres ouvertes, le droit de réplique à des chroniques, les points de presse, reportages et entrevues sont des formules qui, traditionnellement, ont permis aux politiciens d’utiliser les médias pour s’adresser au public. De plus, les communiqués de presse sont désormais en libre circulation sur leurs sites web et sur des plateformes permettant à quiconque de les consulter.

Je dis « traditionnellement », avec le résultat que l’on connaît : la moitié de la population n’a plus rien à cirer de la « cassette » des spins politiques. Le citoyen en a soupé de la dictature des relations de presse et des lignes de parti répétées machinalement jusqu’à plus soif. Vous lisez vraiment les semblants de journaux que votre député dépose dans votre boîte aux lettres? Non. Et moi non plus.

Alors voilà mon dilemme : Si je confine le politicien dans la stricte limite de la publicité et des formules médiatiques traditionnelles, inévitablement, je ne lui laisse accès qu’à une formule qui favorise la dictature du spin et de la cassette des relations publiques. Un simple regard à l’expérience suffit pour s’en convaincre. Autrement dit, je contribue à gonfler encore plus le cynisme, ce qui ne risque pas de stimuler l’intérêt de nos lecteurs pour le débat public, un rôle médiatique qui m’apparaît essentiel.

Mais d’autre part, comme je le disais d’entrée de jeu, si j’inclus le politicien, au même titre que n’importe quel chroniqueur et blogueur je camoufle son intention de vendre son programme, ce qui est de la publicité, sous le couvert de la réflexion libre et indépendante, ce qui me semble moralement pour le moins douteux.

…On se sort de ce dilemme comme on peut. Qu’en pensez-vous? J’aimerais bien lire votre opinion là-dessus. À titre de blogueurs, de lecteurs et d’électeurs, comment entrevoyez-vous le rôle des politiciens actifs dans les médias d’information? Êtes-vous à l’aise avec cette possibilité? Croyez-vous que de leur faire une certaine place dans les médias où ils peuvent s’exprimer librement, pourrait combattre le « cynisme de la cassette »?