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Lettre à Pauline Marois: Lorsque je serai riche, je vous ferai signe, promis!

Montréal, 25 septembre 2012

Chère Madame Marois,

Laissez-moi vous raconter un peu ma vie.

Il y a une dizaine d’année, ma mère est décédée. Elle m’a laissé un petit héritage.

Avec cette somme, j’ai pu acheter une maison, un duplex dans Villeray. Rien de majestueux, mais j’y voyais un beau projet. C’est le seul investissement qu’il m’ait été possible de faire depuis. Soucieux d’économiser des intérêts, je rembourse mon hypothèque sur une base hebdomadaire. Ce paiement représente plus de 400$ à toutes les semaines. Pour moi, c’est beaucoup d’argent. J’ajoute à cela les taxes, les assurances et l’entretien et ça suffit pour faire de ce projet la principale dépense de notre foyer.

Cette maison, je l’ai rénovée moi-même, des mois entiers où je n’ai presque pas travaillé. Il fallait la voir au moment où nous l’avons achetée. Il fallait voir le quartier, aussi. Plusieurs familles dans mon voisinage sont dans la même situation. Des jeunes parents avec des enfants. Nous n’avons rien à voir avec le big business. Nous avons embelli notre milieu de vie, planté des fleurs, aménagé des jardins. De quoi nous donner envie de demeurer ici, à Montréal, ce qui nous permet de nous déplacer à vélo ou en transport en commun. Bref, vous voyez le portrait… Nous sommes de la classe moyenne.

Aujourd’hui, grâce à un marché favorable et à beaucoup (vraiment beaucoup) de mon jus de bras, ma maison a pris de la valeur. J’arrondis les chiffres pour que ce soit simple à comprendre. Mon duplex que j’ai payé 150 000$ il y a une dizaine d’année doit valoir aujourd’hui autour de 450 000$. J’ai tout refait des planchers au plafond. Tout. Un travail colossal. Ça m’a pris 10 ans. Comme vous pouvez le comprendre, je n’ai aucune facture pour ce temps que j’ai passé à rénover moi-même, pas plus que je n’en ai pour des matériaux récupérés ou l’aide d’amis et de membres de ma famille. Et pourtant, tous ces travaux et matériaux ont ajouté une valeur à mon immeuble et à mon quartier. J’en suis d’ailleurs assez fier, comme je suis fier de mes voisins qui font de même.

Si je vendais ma propriété aujourd’hui, comme la moitié de mon duplex est à revenu, je ferais donc un gain en capital de 150 000$ (la moitié de 300 000$). Le fisc me réclamerait de l’impôt sur 50% de ce montant, donc sur 75 000$. Je le savais en commençant mon projet de rénovation. C’était la règle du jeu. J’ai accepté de jouer.

Depuis que vous êtes élue, vous désirez changer cette règle. C’est donc sur 112 500$, soit sur 75% de mon gain en capital, que je serais imposé. Une différence majeure.

J’ai été travailleur autonome presque toute ma vie, toujours dans le domaine de la culture et des médias. Depuis deux ans, j’occupe un poste assez enviable au sein d’une petite entreprise médiatique. J’aurai 40 ans en décembre. Je regarde devant moi et sachant que j’aurai terminé de payer cette maison dans 6 ans, il me restera tout au plus une quinzaine d’années pour mettre un peu d’argent de côté pour ma  retraite, mes paiements hypothécaires actuels ne me permettant pas pour l’instant de faire d’autres économies. Mais vous savez ce que c’est les médias et le monde de la culture (le savez-vous, au fait?)… Aurai-je encore un emploi? Gagnerai-je le même salaire pour plusieurs années encore? Je n’en sais rien. Personne dans mon domaine ne le sait. J’ai confiance, mais tout peut arriver.

Quand je dors mal la nuit, je pense à ma maison. Ça, c’est du solide! Au moins, j’aurai un toit et un revenu et une certaine valeur dans laquelle j’aurai investi. Au pire, si je ne peux plus m’en occuper, je pourrai la vendre.

Ce que vous me proposez aujourd’hui, à moi et à des centaines de jeunes familles qui se défoncent pour investir dans une propriété et la rénover, c’est carrément de ronger leur projet de retraite. Je ne suis pas fonctionnaire, je suis un travailleur médiatique et culturel. Je n’ai droit à rien. À rien, sauf à ce que j’ai fabriqué moi-même… Mon duplex dans Villeray.

Vous me proposez de ronger ma retraite madame Marois. Tout cela, au nom de la classe moyenne dont je fais partie et que vous prétendez défendre.

Désolé chère madame. Mais vous ne m’aidez pas. Vous me nuisez. Beaucoup même.

Une question: Auriez-vous le courage d’affronter nos régiments de fonctionnaires syndiqués, qui ont pour la plupart des meilleures conditions d’emploi que les miennes, en leur proposant de changer subitement les règles du jeu en ce qui concerne leurs investissements pour la retraite?

Comprenez-moi bien. Je n’ai rien contre les conditions que ces travailleurs ont obtenues. Tant mieux pour eux. Ce sont les leurs et ils y ont droit. Mais comment se fait-il que ces concitoyens peuvent considérer leurs avantages sociaux comme des «acquis» alors que de mon côté tout peut basculer du jour au lendemain au gré de telle ou telle volonté politique?

Je le sais et vous le savez aussi. Vous donnez en ce moment dans le mythe publicitaire propre aux relations publiques. Dans l’imaginaire collectif, l’expression «gain en capital», ça sonne un peu «profit de capitaliste», ça fait gros riche qui s’en met plein les poches. Un peu plus, et on pourrait croire qu’avec de telles mesures, vous prenez part au mouvement des indignés en vous attaquant à ce fameux 1%, ces mieux nantis de la planète. Dois-je vous préciser que je n’en suis pas?

Madame Marois, le gain en capital, c’est aussi la réalité de milliers de jeunes familles, de travailleurs autonomes, dans divers domaines, pour qui investir dans une propriété à revenu a été la principale économie pour la retraite depuis plusieurs années. Personne ne nous représente, personne n’ira crier dans la rue, personne ne fera la grève pour vous tenir tête sur ce point. Nous ne le pourrions même pas. Vous ne nous verrez pas. Nous sommes invisibles. Nous sommes camouflés dans ce genre de solutions mur à mur où on ne fait pas la différence entre un riche investisseur en immobilier et un simple travailleur autonome qui a choisi d’investir son temps et son argent dans sa propriété.

Je le répète… Tout cela avec la curieuse apparence de vouloir venir en aide à la classe moyenne.

Chère Madame Marois. Je vous en supplie. Cessez de vouloir m’aider. J’ai appris à me débrouiller seul avec mes outils. Jusqu’à ce que vous vous pointiez dans ma vie, tout allait très bien.

Je termine la présente en vous demandant de bien vouloir considérer le cas des familles comme la mienne, des travailleurs qui, comme moi, n’ont qu’une seule propriété à revenu, assez modeste d’ailleurs, qui représente leur unique investissement. Si vous souhaitez vraiment aider la classe moyenne, il m’apparaîtrait plus que judicieux de ne pas venir grignoter ainsi notre seul projet qui nous assurera peut-être une retraite un tant soit peu confortable.

Et je vous donne ma parole… Lorsque je serai riche, je vous ferai signe, promis!

Bien à vous et en espérant trouver un écho à ma complainte dans vos futurs projets de société.

S.