J’ai appris ce matin que Lysianne Gagnon publiera la semaine prochaine un livre aux éditions La Presse intitulé « Récits de table d’ici et d’ailleurs ». Je ne souhaite pas vraiment vous parler de l’ouvrage, ne l’ayant pas lu, mais simplement vous faire remarquer que je l’ai appris ce matin sur le site web de La Presse de la plume d’une chroniqueuse bien connue, soit… Lysiane Gagnon.
Si ce genre de selfiechronique* a de quoi étonner, il faut dire que c’est devenu le modus operandi des chroniqueurs de La Presse qui écrivent volontiers sur les ouvrages de leurs collègues de La Presse ou de Gesca publiés aux éditions La Presse. La pratique est tellement courante qu’on ne s’en étonne plus vraiment.
Champion dans cette catégorie, Marc Cassivi a pu ainsi signer un reportage sur le livre Simple Plan, l’histoire officielle, de sa collègue Kathleen Lavoie journaliste au Soleil, une chronique sur le livre Pas, chroniques et récits d’un coureur signé par Yves Boisvert chroniqueur à La Presse et une autre sur l’ouvrage de son collègue Marc-André Lussier, Le meilleur de mon cinéma dont il avait lui-même signé la préface.
De son côté, Nathalie Petrowski signait en février dernier un texte sur le livre de Claude Gingras, Notes. 60 ans de vie musicale en confidences et anecdotes.
Parlant de Nathalie Petrowski, elle faisait aussi paraître cette année un recueil intitulé Portraits retouchés, parution qui a donné lieu à une chronique de Marie-Claude Lortie dans La Presse.
Plus tôt cette semaine, c’est Marie-Christine Blais qui signait une longue entrevue avec son collègue Stéphane Laporte, à l’occasion de la parution du tome 4 de ses recueils de chroniques.
Tous ces ouvrages, comme je le disais d’emblée, sont publiés aux éditions La Presse, signés par des journalistes et chroniqueurs de La Presse et couverts par des journalistes de La Presse, dans La Presse.
J’en conviens, ma dernière phrase est un peu bateau. J’espère que vous me pardonnerez.
N’allez cependant pas croire que je souhaite ici donner un coup de gueule à qui que ce soit ou déchirer ma chemise sur cette mise en marché à peine dissimulée. En fait, elle ne l’est pas du tout.
Ce qui m’intéresse ici, surtout, c’est un phénomène que j’ai déjà pointé à plusieurs occasions -ce qui m’a valu quelques cris d’indignation de plusieurs collègues des médias qui œuvrent sans les salles de rédaction- soit le journalisme comme vecteur marketing.
Ce marketing prend plusieurs visages.
D’abord, le journaliste est lui-même un logo du média pour lequel il travaille. À l’ère des médias sociaux, il n’est plus permis d’en douter. Suivez un tel sur twitter, abonnez-vous à cet autre sur Facebook, les slogans en forme de « lisez aujourd’hui la chronique de… » se multiplient et se jouent dans toutes les gammes. Le phénomène n’est cependant pas nouveau. Le visage du journaliste et son nom sont partout sur des affiches, des panneaux routiers, des publicités.
Bref, disons-le, le journaliste, dans bien des cas, est un « produit vedette ».
Ensuite, et c’est important, le journaliste fait partie de la mise en marché des intérêts pour lesquels il travaille. Ici il est question plus spécifiquement des Éditions La Presse, une marque que les travailleurs de ce média défendront sans aucun doute. Permettez-moi ici de ne même pas pointer un concurrent du doigt et de parler de mon propre travail. Au Voir, nous parlons volontiers en termes élogieux du Guide Restos que nous publions chaque année. Plus encore, nos formules publicitaires, comme la boutique voir (remarquez, je viens de la ploguer!), impliquent la promotion de commerces partenaires. Comprenez que ces commerces avec qui nous « convergeons », nous les couvrons et les défendons dans une logique de mise en marché, comme nos collègues des autres médias le font pour les produits de leurs employeurs.
On pourrait certainement y voir une sorte de militantisme, au même titre que des médias comme 99% média ou les Alter Citoyens défendent volontiers des causes, participant ainsi à une forme de mise en marché d’idées. Ils couvrent des manifestations, font des entrevues et des reportages sur leurs collègues du champ gauche et leurs ouvrages. Bref, ils « convergent » eux aussi. Parlons de convergence de la divergence.
Ces phénomènes, l’auto-couverture de soi ou de ses collègues et la mise en marché d’idées et de produits dans lesquels nous avons des intérêts, devrait nous inviter à une profonde réflexion sur le rôle du journaliste et du chroniqueur à l’heure des mutations médiatiques.
Pour l’heure, il semble que devant les changements profonds auxquels nous assistons, certains journalistes et chroniqueurs se refusent purement et simplement de considérer leurs propres partis pris et leur propre rôle dans ce nouvel univers du marketing journalistique. Tout change autour d’eux, mais pas eux, disent-ils. Ils sont prêts à jeter la pierre sur à peu près tout le monde; les blogueurs, les médias militants, les zozos sur les médias sociaux, ceux qui acceptent de jouer le jeu du branding content ou les empires de la convergence, sans jamais voir qu’ils sont eux mêmes des agents qui militent pour le produit qu’ils sont et celui que leur employeur souhaite vendre.
Force est d’admettre que lorsqu’un chroniqueur profite de sa chronique pour vendre son propre livre édité par son propre employeur, nous avons atteint un point où il sera difficile de ne pas regarder les choses en face…
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* Je dois l’expression « selfiereportage » à un collègue, mais je ne peux vous dire son nom, il travaille pour La Presse.
C’est pas nouveau … en 1850 Blazac écrivait « Illusions Perdues » …