Dans la foulée de la polémique entourant Adil Charkaoui et les liens qu’on a pu trouver sur le site internet du Centre communautaire islamique de l’Est de Montréal (CCIEM) dont il est le directeur, c’est peu dire que nous assistons à une certaine effervescence médiatique. Il y a eu cette entrevue avec Anne-Marie Dussault sur laquelle je reviendrai plus tard. Je n’entretiens aucune sympathie particulière avec ce protagoniste qui se retrouve sous les projecteurs, mais chose certaine, la chasse est ouverte. Hier soir, c’était TVA Nouvelles qui nous arrivait avec une « exclusivité ». Son journaliste Michel Jean avait aussi enquêté dans les lieux sombres du radicalisme islamique. J’intègre ici à titre de référence le reportage que je vous invite à écouter avant de poursuivre la lecture.
Je vous propose ici une sorte d’exégèse médiatique. Voyons comment le récit est construit. D’abord, nous trouvons une introduction, tout à fait dans les normes pour ce genre de reportage :
C’est à l’Université de Concordia que ça se passe, où il y a 6000 étudiants musulmans et la Muslim Student Association (MSI), très puissante, a ses propres locaux, a sa propre bibliothèque privée. Jusque là, ça va, mais quand on regarde de près les livres qui sont proposés, on se rend compte que parmi eux on trouve de nombreux ouvrages d’auteurs qui sont interdits de séjour au Québec, au Canada et dans de nombreux pays et pour de bonnes raisons.
Retenons les idées maîtresses. Ça se passe à Concordia où on trouve 6000 musulmans et une association très puissante. D’où vient sa puissance? Que lui vaut ce qualificatif? On ne le saura pas. Les 6000 étudiants musulmans sont-ils tous membres de l’association? Mystère. Combien de membres alors? Mystère toujours. Mais on a trouvé des choses qui devraient nous faire peur sur des gens bannis de notre pays « pour de bonnes raisons ». Quelles raisons? Allez savoir.
Ne nous embarrassons pas de ces détails, le reportage doit commencer. Le rideau se lève.
Vu de la rue, on ne voit rien. La bibliothèque Islamique se trouve sous cet escalier. Des locaux modestes, mais tout de même dotés d’un logiciel à la fine pointe, qui permet de lire les livres disponibles en ligne. TVA Nouvelles y a trouvé des dizaines d’ouvrages d’imams radicaux.
Ici, la mise en scène est parfaite. «De la rue, on ne voit rien», donc on nous cache quelque chose. C’est mystérieux, il faut y regarder à deux fois. Le valeureux reporter, à l’œil de lynx, a su trouver cet endroit dissimulé où sévit une «association très puissante». On y trouve un «logiciel à la fine pointe». Devant une telle affirmation, on pourrait croire qu’on a découvert un truc machin James Bond qui permet d’apprendre à piloter un avion de ligne dans le confort de son sous-sol. Mais non.
Les geeks seront déçus… Le « logiciel de pointe », c’est un script en Open Source, OpenBiblio, logiciel gratuit sous licence GNU. Pour vous dire, c’est un peu comme si je vous révélais qu’un type publie un journal sur le web avec WordPress, un logiciel de pointe!
Le journaliste nous dit ensuite que grâce à son enquête sur ce fameux logiciel, il a pu trouver des références à des ouvrages de quelques pompés du Coran. Abdur Raheem Green, Zakir Naik, Bilal Philips et Youssef al-Qaradâwî. Pour chacun, on a deux secondes de propos controversés. Des types peu fréquentables lorsqu’on souhaite discuter des progrès de la modernité occidentale, aucun doute. Mais où est donc l’immense découverte qui devrait nous faire trembler? On aurait trouvé un ordi branché au web que ça n’aurait pas été différent. Sans compter que pour le dernier, Youssef al-Qaradâwî, on trouve ses ouvrages dans bien des bibliothèques universitaires, que ce soit à l’UDM ou à McGill. Voilà une trouvaille!
Mais qu’est-ce qui se passe au juste dans ce lieu obscur dissimulé des regards? Nous allons bientôt le savoir car le journaliste qui n’a peur de rien n’hésite pas à y entrer. On le suit volontiers.
Quand nous nous sommes présentés, un groupe d’étudiantes voilées se trouvait sur place.
Bon! Ça c’est du solide! Un groupe d’étudiantes voilées. Ça devrait suffire. La première que l’on croise, on lui brouille visage. Normal, elle ne souhaite pas parler au journaliste et déclare ne pas vouloir faire une entrevue. Ce dernier insiste un peu. Juste deux ou trois questions, promet-il. Elle réitère son refus. Le journaliste reprend la narration.
Impossible d’avoir des explications sur les œuvres offertes aux étudiants.
Impossible? Peut-être, ou peut-être pas. Tout ce que l’on sait pourtant c’est que la première étudiante croisée sur les lieux ne peut ou ne veut répondre à une entrevue. On ne sait pas ce qu’elle fait là ou si elle est seulement compétente pour fournir des explications. Allez, on ne s’embarrasse pas avec ça, disons que c’est «impossible d’avoir des explications». Là encore, ça devrait suffire.
On change de plan. On se retrouve aux locaux de la MSI. Encore une fois, un visage voilé (décidément, ces gens nous cachent quelque chose avec leurs visages voilés!). Encore une fois, le journaliste reprend sa narration.
Aux locaux de la MSI, on a offert cette explication.
Un dialogue suit :
— Les vieux livres qu’il y a là en bas?
— Oui.
— Mais c’est plus, plutôt, c’est ouvert pour tout le monde, pour des recherches.
Le lecteur attentif aura remarqué qu’un tour de magie vient d’être opéré. Il n’est plus question d’un logiciel de pointe. On parle «des vieux livres qu’il y a là en bas». L’interlocuteur anonyme semble peu au fait des recherches du journaliste dans les mystérieuses bases de données qui dissimulent des documents dangereux. Quoi qu’il en soit, on n’en saura pas plus.
On change de plan. Le journaliste poursuit : «Concordia fournit gratuitement les locaux à la bibliothèque islamique». Apparaît ensuite un type sorti de nulle part qu’on ne présentera pas au téléspectateur. Mais qui est-ce? Qu’est-ce qu’il vient faire dans cette histoire, au juste, ce monsieur qu’on nous catapulte dans l’écran? Allez savoir. Mais on peut lire sous son visage : Marc Lebuis /Point de bascule. On ne sait pas qui c’est, mais il a une question qui tue à poser:
« Est-ce que l’État est en train d’encourager le radicalisme d’une façon indirecte? »
Ah Ah! Ça, ça fait mal! Mais que fait donc l’État, on vous le demande! Les élus sont-ils en train d’encourager indirectement la radicalisation des étudiants et, pire encore, avec les deniers publics, puisque les locaux sont gratuits? Non mais! Ce serait un scandale!
On termine sur les politesses d’usage. Concordia aurait répondu par courriel qu’elle prend l’affaire au sérieux.
Nous sommes à 2 min 30 s de temps d’antenne, il faut vite conclure et passer à un autre sujet. Le journaliste doit présenter les résultats de son enquête.
La Muslim Student Association est présente sur tout le continent et dans ce rapport d’enquête sur la menace intérieure [il brandit une pile de papiers photocopiés] la police de New York la présente comme un outil utilisé par les extrémistes pour séduire les jeunes. Et avec 6000 étudiants musulmans, pas de doute, l’université Concordia offre une belle cible.
Voilà. Les trois mots sont dits : « pas de doute ». Plus aucune hypothèse ne tient, nous venons de fonder une certitude : les étudiants musulmans de Concordia sont une cible de choix pour les extrémistes et, si d’aventure une situation tragique devait advenir, n’en doutez pas, il faudra faire un lien avec ces ouvrages et ce logiciel de pointe dissimulé dans un sous-sol.
Or, c’est précisément à ce moment du reportage, alors qu’on parlera dans quelques secondes du vortex polaire ou je ne sais quoi encore, qu’il faudra commencer à douter…
J’ai commencé à lire hier, le livre de Normand Baillargeon « guide d’auto-défense intellectuelle ». À la lecture de votre article, il m’est fréquemment arrivé de sourire en pensant à cette lecture car les liens y sont nombreux. Vive la désinformation de tva! Merci pour ce papier éclairé M.Jodoin
Ce reportage est de la manipulation émotionnelle des masses. C’est même à un niveau tellement primaire que ça en devient grotesque, caricatural.
Cependant, que le reportage nous prenne pour des cons ne permet pas de généraliser à TOUS les reportages de TVA. De même, il ne permet pas non plus de conclure qu’il n’y a pas de problème avec l’islamisme.
merci.
et je suis heureux de savoir que les « Systèmes Intégrés de Gestion de Bibliothèque », surtout les versions open source disponibles pour tout le monde, sont des… outils à la fine pointe !
Maintenant on veut des RAYONS LASERS POUR TOUT LE MONDE.
merci encore.
Ayant fréquenté l’association musulmane de concordia ainsi que leurs locaux, il n’y a rien de plus doux et amical qu’eux. Et il n’y a rien de dangereux, vraiment, au contraire. Ils sont drôles TVA avec leur fine pointe de la technologie… ils parlent d’un ordinateur là? C’est vraiment gonfler les mots et prendre les gens pour des naifs!
Mais c’est sûr que quand on écoute les médias qui jouent avec les mots, quelqu’un qui n’est pas familier ou qui regarde de l’extérieur seulement peut commencer à avoir peur. C’est pour ca il y a un proverbe qui dit: l’ignorance mène à la peur, et la peur mène à la haine. Il faut que les gens s’informent par eux-mêmes et vont à la rencontre de musulmans ou cherchent à lire sur l’Islam et le Coran s’ils veulent comprendre; c’est pas avec TVA Nouvelles ou Radio Canada lol
Un reportage amusant en soi, mais délectable lorsque déconstruit.
Bien sûr que les gros sabots du reportage se voient et s’entendent de loin.
D’ailleurs, ce type d’«enquête» mal ficelée portant pourtant sur un sujet sensible d’actualité fait un tort immense aux légitimes efforts de faire un peu d’éclairage utile sur des préoccupations réelles.
Ce qui est encore plus consternant avec ce reportage bâclé, c’est que même s’il y avait vraiment anguille sous roche à Concordia, un exercice de journalisme déficient – incapable de démontrer quoi que ce soit de manière probante – vient du coup de laisser grande ouverte la voie à une menace potentielle, si cela s’avérait.
Faute de rigueur, on se retrouve avec un dossier mal fagoté. Et le «suspect» est alors relâché…
Il y a de sérieux relents d’Octobre 70 et de la façon dont la GRC passait dans les bibliothèques privées à la recherche d’ouvrages «communistes», dans cette affaire.
TVA doit être ne train de préparer le terrain pour PKP, qui nous proposera de belles mesures identitaires pour nous «sauver».
« TVA doit être ne train de préparer le terrain pour PKP, qui nous proposera de belles mesures identitaires pour nous «sauver». »
Sans blague ? Et ça parle de délire paranoïaque….
Pas besoin de recourir aux ambitions politiques de PKP. Cela fait simplement partie de la stratégie de propagande de masse visant à gonfler les cotes d’écoute avec des « reportages-chocs ». Sérieusement, s’ils avaient fait une enquête sérieuse qui ça aurait intéresser de savoir qu’il y a une petiote association musulmane à Concordia qui est inoffensive et ne diffère guère de maints autres associations étudiantes ?
Ce type de reportage existe depuis les débuts du JdM, avec une accentuation marquée depuis que PKP a hérité de papa. TVA et le reste de Québécor en faisaient régulièrement à l’époque où PKP était encore un grand financier fédéraliste et violemment néo-libéral, proche de Charest et de Harper.
Très intéressant comme analyse, j’ai très hâte d’entendre sur l’entrevue de Mme Dussault!
Un jour un reportage sur la construction d un reportage TV, les contrainte de temps, d argent, d expertise, la possibilité de faire intervenir des spécialistes…..la privatisation de l info….demeure que des jeunes vont faire la guerre au nom d une conception religieuse de celle-ci
Votre billet est un vent de fraîcheur dans ce monde où certains journalistes perdent toute rigueur au profit de conclusions à la va-vite qui fait capoter tout le monde. C’est vraiment insultant pour l’auditoire.
La capacité des médias a manipuler le sens commun est sous-estimé.
Pourquoi il n’y a-t-il pas plus de conséquences lorsque des sornettes sont diffusés?
J’aurais dû faire un reportage du genre l’autre jour. J’ai eu tellement peur dans le métro. Je suis entré sur la ligne bleue, il y avait une femme voilée, assise qui lisait quelque chose en arabe. Certainement une éventuelle terroriste qu’il fallait dénoncer… !!!! Dans le reportage, le journaliste n’allait pas manquer l’occasion de nous faire le coup de la peur, presque de la menace. Le problème c’est qu’on n’a pas fini avec ce genre de dérapages; quand une juge (une personne que l’on peut croire informée et intelligente) refuse d’entendre une femme qui porte le hidjab, on n’est pas sortis du bois.
Vent de fraîcheur dites-vous? Tout à fait M. Jodoin. Nous ne sommes pas seuls!
Le même triste sir, Michel Jean, a fait le même sale petit boulot dans mon école où je suis directeur pédagogique. (Googolez Le Savoir et koweït et vous trouverez la même triste recette ) Par chance cependant, nous nous n’avons pas laissé entrer le gars : je suis allé à TVA : 75 minutes avec lui à parler… Merveilleux, vous vous dites! Vive la démocratie! Attendez, de tout l’entretien, ne restait plus que 3 sec lors de la diffusion.
Je travaille à l’école Le Savoir depuis 4 ans. Plutôt que de prendre ma retraite à 55 ans, j’ai plutôt décidé d’aider une école communautaire musulmane à suivre le programme du MELS. Ex-doyen, universitaire, spécialiste en inter-culturalisme, publications, bourses du CRSH… loin donc d’être un opportuniste de façade pour une école, le québécois de culture catholique que je crois être parfois et surtout le citoyen que je suis est obligé de réagir vis-à-vis ce type de ramassis de raccourcis et de coupage de coins ronds. Imaginez, Michel Jean a réussi à mettre, dans le même reportage, Kadhafi et ma petite école de Pierrefonds que nous avons réussi à hausser au rang de 75ème sur 428 au Québec.
Vent de fraicheur après cette tristesse : ce reportage de La Presse de Christian Merciari qui a été publié en fin de semaine dernière. Voici le lien:
http://link.videoplatform.limelight.com/media/?mediaId=2ff4527821fd44fc8fd8971f286b0427&width=480&height=321&playerForm=Player
Assalamou Alaykom, tabernouche
Cela fait longtemps que j’ai découvert que le JdM et TVA ne sont pas des médias d’information.
C’est triste pour les vrais journalistes qui aimeraient faire leur travail correctement, mais c’est ainsi: Québécor est devenu avec PKP une machine à fric et de propagande néo-libérale qui carbure à l’émotivité et à la manipulation.
Et la faute appartient bel et bien au réseau et non pas aux journalistes (du moins à ceux qui ne sont pas totalement « adaptés » au réseau). Je l’ai vue quand les journalistes du JdM avaient été mis en lockout. Je lisais avec assiduité leur journal « Rue Frontenac ». La qualité, digne du Devoir, contrastait tellement avec celle de ce qu’ils écrivaient dans le JdM que ça en était hallucinant. Comme si l’auteur des « Misérables » (Victor Hugo) avait aussi été un auteur de roman Harlequin.
Le reportage est cretineux,mais vos commentaires m’inquiètent.Vous faites une apologie de l’islam et l’un de vous nous dit que nous aurions besoin d’etre renseigner sur le coran.Pourrais -il nous dire où il trouve le mot amour dans cet écrit?Parlez-nous de ce que dit le coran pour les non musulman?Eclairez nous comment c’est fait l’islamisation?Donnez nous le nom d’un pays musulman qui n’est pas dans le troule?Indiquez nous un paiys ou l’immigration des musulmans se fait pacifiquement?Les problèmes que nous cause l’islam sont plus inquiétant qu’un reportage bâclé.