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« Nos valeurs excluent l’exclusion »: quand la désinformation exclut l’honnêteté intellectuelle

 Le texte « Nos valeurs excluent l’exclusion »  qui circule dans les médias révèle un grossière malhonnêteté intellectuelle et relève de l’entreprise de désinformation. Ce texte laisse croire que l’interdiction de porter des signes religieux au travail irait à l’encontre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, allégation qui constitue l’un des fondements de ce texte collectif.

Mais les auteurs ne citent qu’un passage tronqué de la Déclaration universelle pour lui faire dire que la liberté de religion signifie « manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé ». Donc, liberté de porter des signes ou vêtements religieux où bon nous semble.

Mais voici ce que dit l’article 18 complet de la Déclaration : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »

La dernière partie de cet article est essentielle pour comprendre ce que signifie « manifester sa religion » et ce n’est pas par manque d’espace qu’elle a été omise. Il est clair que l’expression désigne ici le droit d’en pratiquer les rites et de transmettre cette religion. Ça n’inclut aucunement le droit d’exposer en tout temps et en tout lieu son appartenance religieuse par des signes ou des vêtements distinctifs, même si ces signes sont prescrits par une tradition religieuse. Pratiquer sa religion en public ne signifie pas l’afficher dans les bureaux des services publics mais la pratiquer avec d’autres membres de sa communauté et de pouvoir le faire dans un lieu prévu à cet effet et qui peut être accessible publiquement.

Cet article est repris dans le Protocole international sur les droits civil et politiques avec exactement la même portée: il s’agit du droit d’avoir une religion, ou conviction de son choix, et de pouvoir la pratiquer. Le Pacte ajoute que les restrictions doivent être prévues par la loi pour éviter l’arbitraire. C’est ce que fera le projet de charte attendu.

S’il fallait interpréter cette clause de la façon dont le font les signataires de  la lettre collective ou s’en servir pour les fins qu’ils poursuivent, cela voudrait dire qu’un employé de l’État pourrait faire du prosélytisme sur les lieux de travail (transmettre sa religion par l’enseignement) et en pratiquer le culte et les rites. Vous voyez la scène? En entrant au bureau de l’Assurance automobile, des employés catholiques reçoivent la communion de leur aumônier; au palais de justice, des employés évangéliques nous exhortent à nous convertir pour éviter la colère de Dieu; au ministère de la Culture, des musulmans prosternés face contre terre font leur prière en direction de La Mecque.

L’interdiction de porter des signes religieux au travail n’affecte en rien le droit d’avoir une religion et de la pratiquer, pas plus que l’interdiction de porter des signes politiques, interdit déjà inscrit dans la Loi de la fonction publique, ne brime la liberté d’action politique. Tout employeur est en droit de demander une certaine réserve sur l’expression de ces convictions religieuses ou politiques. Il est étonnant que les signataires de cette lettre ainsi qu’une collègue juriste qui s’exprime sur cet espace de blogues n’aient pas vu la portée limitée de la liberté de religion telle que reconnue par la Déclaration universelle et que l’interdiction du port de signes religieux au travail ne brime en rien ce droit fondamental.

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