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Université et laïcité: certains professeurs préfèrent la foi

Je suis heureux d’avoir fait mon premier cycle universitaire dans les années 70 plutôt que dans les années 2010. Si la lettre publiée plus tôt cette semaine par 112 professeurs de l’Université de Montréal est représentative de l’idée que l’on se fait aujourd’hui de la « libre pensée » dans les universités, j’ai mal à mon Université (1).

Cette lettre (qu’on peut lire à la fin de cet article de Katia Gagnon) se veut un appui à la position prise par l’UdeM la semaine dernière contre l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires de la part du personnel des universités, interdiction prévue par le projet de « charte de la laïcité« .

Foi et science

On sursaute dès le titre du texte: « Fide splendet et scientia : un obstacle à la libre pensée? » Ce titre reprend la devise canonique adoptée par l’UdeM au moment où elle recevait sa charte catholique de Rome : « Elle rayonne par la foi et le science ». Si la charte catholique a été abandonnée en 1967 (sauf pour la Faculté de théologie), la devise canonique est demeurée.

Pour répondre à votre question, chers collègues, oui la foi est un obstacle à la libre pensée; c’est même son antithèse, la libre pensée étant une pensée libre de tout dogme religieux. C’est aussi un obstacle à la démarche scientifique.

Mettre sur le même pied foi et science comme le fait la devise de l’UdeM va de pair avec le serment antimoderniste que devaient prononcer les professeurs des universités catholiques jusqu’aux années 50. L’ex-recteur de l’UdeM, Robert Lacroix, avait pour habitude d’interpréter cette devise comme signifiant la « foi en la science ». Mais les 112 signataires de la lettre initiée par le professeur Jean Leclair lui redonnent son sens littéral obscurantiste et s’en réclament même. Tout simplement désolant. Si ces professeurs étaient vraiment en faveur de la laïcité, ils réclameraient plutôt une nouvelle devise.

« À quelle mémoire nous attacherons-nous ? », demandent les auteurs. Justement, vous avez un devoir de mémoire: celui de vous rappeler ce qu’est la science lorsqu’elle se subordonne à la religion ou considère cette dernière comme son égale.

Leur texte nie que des signes ostentatoires, tel un vêtement religieux, véhiculent un message. Étonnant de la part de philosophes, de sociologues, d’anthropologues, de politologues et de juristes. À leur attention, je cite ce passage du sémiologue Roland Barthes:

«[En tant que langage, le vêtement] est, au sens plein, un modèle social, une image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues, et c’est essentiellement à ce niveau qu’il est signifiant» (Histoire et sociologie du vêtement, p. 440).

Le vêtement est un moyen de communiquer les valeurs, le statut social, le rôle et l’identité du porteur; c’est ainsi que le vêtement religieux devient un « costume », c’est-à-dire un langage non verbal. Qui, d’entre les signataires et parmi les étudiants, accepterait qu’un professeur se présente quotidiennement en classe avec un vêtement portant l’inscription « Je suis chrétien et communiant » ou encore « Je suis athée; libérez-vous de la religion »?

Dans l’entrevue accordée à La Presse, Jean Leclair déclare que «si quelqu’un n’est pas capable d’être confronté à un prof qui porte la kippa ou le voile, je suis désolé, il n’a pas sa place à l’université». Prenons-le aux mots: si un professeur n’est pas capable de se défaire de sa kippa ou de son voile pour exercer sa profession,  je suis désolé, il ou elle n’a pas sa place à l’université étant donné l’absence de recul critique manifestée dans sa profession à l’égard de ses croyances.

Déstabiliser les certitudes… sauf religieuses

Tout dans cette lettre peut être retourné contre l’objectif poursuivi, c’est-à-dire la légitimation du port de signes religieux ostentatoires à l’université. On nous dit, par exemple, que l’université est « une institution qui, chaque minute, devrait déstabiliser sa population professorale et étudiante afin de l’arracher à ses certitudes » et qu’il ne faut pas contrevenir à « la vocation critique » de la mission professorale. Faut-il donc entendre que les croyances religieuses des professeurs sont à l’abri de cette déstabilisation de leurs certitudes et qu’ils n’ont pas à les laisser à la porte de l’établissement?

Les auteurs de la lettre pensent sans doute marquer un point en citant le « grand juge »  Oliver Wendell Holmes pour qui  la liberté de pensée  vise à protéger « la pensée de ceux  qui expriment des pensées avec lesquelles nous sommes fondamentalement en désaccord ». Appliquée au milieu universitaire, une telle approche relativiste est tout simplement ahurissante et a pour effet de dire que toutes les pensées se valent. Dans ce cas, que faites-vous de votre mission d’ébranler les certitudes?

Dans le cas d’une université comme dans celui de tout service public, c’est la liberté de conscience des usagers que les employés sont tenus de respecter ; les employés n’ont pas à exiger que les usagers ou les étudiants s’accommodent de l’expression de leurs convictions personnelles. C’est le sens du devoir de réserve exigé par tout employeur.

Les signataires affirment également que « le projet de loi aura pour effet d’interdire à des femmes musulmanes francophones, parfaitement compétentes et désireuses de participer à une entreprise d’investigation intellectuelle réflexive et critique, la possibilité de ce faire». Ce postulat est à la base de leur prise de position. Il s’agit d’un dérapage à la Charles Taylor, à la va comme j’te pousse, qui postule que les musulmanes sont incapables de discernement; pour reprendre les mots de la lettre, c’est une insulte à l’intelligence de ces femmes qui sont faites d’une étoffe plus solide que ce texte. On connaît tous des cas où des musulmanes acceptent les règles comme celles prévues à l’article 5 du projet de loi 60 et qui ne considèrent pas que ce devoir de réserve porte atteinte à leur liberté de pensée ni à leur liberté de religion.

« Il n’y a aucune urgence », écrivent encore les auteurs. Mais la laïcité n’est pas un outil à sortir en cas d’urgence: c’est un mode de gestion qui assure l’indépendance de l’État face aux religions.

Les tenants de la « laïcité ouverte » nous ont habitués à des propos d’une faiblesse déconcertante. Leur dernière sortie éclairée par la « splendeur de la foi » est à la hauteur.

Heureusement, tous les universitaires ne pensent pas de la sorte. Le même jour où La Presse et l’Actualité publiaient la lettre des « inclusifs », Le Devoir publiait le texte du professeur Claude Simard de l’Université Laval (L’université: haut lieu du savoir, non du croire) dont la teneur est diamétralement opposée à celle de ses collègues de l’UdeM.

« Accepter dans son sein le port ostentatoire de signes religieux qui procèdent du croire et non du savoir paraît donc contraire au rationalisme qui fonde l’université moderne. […] La liberté universitaire concerne essentiellement les courants intellectuels, les théories, les connaissances, les thèses qui sont enseignés et discutés par les professeurs dans le cadre de leurs fonctions universitaires. Leurs opinions politiques personnelles appartiennent à un autre registre et concernent d’autres tribunes publiques que les salles de cours universitaires. »

Même chose pour les croyances religieuses « qui ne sont pas sujettes à discussion » ajoute-t-il plus loin.

À l’opposé de la position du groupe de professeurs de l’UdeM, des professeurs de l’UQAM ont plutôt choisi de défendre la laïcité de leur établissement en dénonçant la position de leur recteur prise sans consultation.

1. Je suis diplômé de l’UQAM, deux fois diplômé de l’Université de Montréal et ex-rédacteur à Forum, l’hebdomadaire de l’UdeM.