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« Aucun champ de la connaissance n’est à l’abri des pseudosciences. Les sciences humaines et sociales constituent cependant un terreau particulièrement fertile pour les charlatans de tout acabit. »
C’est la première phrase du volume de Serge Larivée que je présentais dans mon blogue précédent. Il sera ravi d’apprendre qu’un collectif d’auteurs provenant de différents champs des sciences humaines vient de publier une série d’articles s’attaquant de front à ce problème: Sciences et pseudo-sciences; regards des sciences humaines (Éditions Matériologiques, Paris, 2014).
« Les sciences humaines, peut-on lire dans la présentation, sont souvent l’objet d’intrusions spiritualistes, l’instrument d’une « déraison savante », le cheval de Troie des théories les plus insensées qu’une pléthore de mouvements et courants irrationalistes engendre à flots continus ».
Il y a donc péril en la demeure et on ne peut que se réjouir que cette fois-ci l’alerte provienne de l’intérieur même de la demeure. Sous la direction du sociologue Valéry Rasplus, les neuf auteurs, issus de l’anthropologie, des mathématiques, de la philosophie, de psychologie et de la sociologie, cherchent moins à débusquer la présence ou l’effet des pseudosciences dans leur domaine respectif qu’à faire valoir que les sciences humaines, dans leurs méthodes, non seulement peuvent mais doivent être fondées sur des critères tout aussi rationnels que ceux des sciences de la nature.
Puisqu’il faut savoir de quoi l’on parle, plusieurs pages sont consacrées aux distinctions qui s’imposent entre science et pseudoscience. L’une de ces distinctions est que les pseudosciences miment les sciences en s’appropriant leur langage mais en délaissent la méthode; elles refusent ainsi d’ajuster leurs prémices aux nouvelles connaissances issues… de la démarche scientifique qu’elles rejettent.
À cette distinction, le philosophe Pascal Engel ajoute que ceux qui adhèrent aux pseudosciences sont des « esprits faux ». « Un esprit faux, écrit-il, n’est pas seulement quelqu’un qui a une propension forte à l’erreur, un ignorant ou un imbécile. […] La plupart du temps, [les esprits faux] savent énormément de choses. Le problème est qu’ils n’ont pas vraiment l’intention de raisonner mieux ou d’examiner leur savoir de façon critique. » Il range notamment dans cette catégorie ceux qui sont convaincus de l’existence de phénomènes inexpliqués mais qui n’ont aucune envie de leur trouver une explication scientifique. Ou encore les pseudo-savants qui ont un vrai désir de connaissance mais qui n’ont aucune idée de la méthode scientifique.
Réfutables et réfutées
Le sociologue Gérald Bronner nous livre l’un des plus intéressants textes de cet ouvrage en examinant les facteurs prédisposant à adhérer aux pseudosciences et les raisons de la persistance des fausses croyances. Contrairement à ce que l’on avance parfois, la réfutabilité n’est pas en cause, explique-t-il. Les pseudosciences sont même tout à fait falsifiables et elles sont réfutées régulièrement. Si l’on croit, par exemple, que le fait d’être Gémeaux prédispose aux maladies pulmonaires, rien de plus simple à vérifier. Et on ne compte plus les réfutations de l’homéopathie. Si de telles croyances persistent, c’est plutôt à cause du « démagogisme cognitif », soit l’usage d’un discours ayant pour but de « flatter les pentes naturelles de l’esprit des interlocuteurs », comme le fait tout démagogue.
De plus, la rationalité comporte des limites à la fois émotives, motivationnelles, culturelles et cognitives. En cas de conflit entre nos désirs et nos connaissances, les désirs l’emporteront pour guider nos comportements. Sans parler du caractère contre-intuitif de la science: alors que celle-ci nous a appris que la Terre tourne autours du Soleil, nous observons pourtant le contraire chaque jour. Les pseudosciences ne font habituellement pas face à ces limitations et à ces contradictions qui heurtent notre esprit. Elles demeurent dans le domaine de l’intuitif et nous flattent dans le sens du poil.
La démarche scientifique ne place toutefois pas l’individu totalement à l’épreuve d’éventuelles pseudosciences. L’ingénieur Alexandre Moatti en veut comme exemple ces scientifiques qui adhèrent à des théories non scientifiques comme le dessein intelligent. Dans de tels cas, souligne-t-il, c’est la science qui sert de réservoir à ce qu’il appelle l’alterscience, c’est à dire une science altérée et corrompue parce que coupée de ses bases théoriques.
Si les méthodes en sciences humaines se doivent d’être aussi rigoureuses et objectives que celles des sciences « dures », il faut toutefois éviter le piège de l’instrumentalisation d’outils qui n’apportent rien si ce n’est de la confusion. Ceux qui sont allergiques au discours pseudoscientifique de la psychanalyse et d’un courant philosophique qui utilisent les mathématiques à outrance et à mauvais escient liront avec délectation le texte du mathématicien et psychologue Nicolas Gauvrit. Avec d’autres exemples comme l’ufologie et la parapsychologie, il dénonce l' »effet gourou » observé dans plusieurs travaux de sciences humaines « postmodernistes » où les mathématiques servent à camoufler une absence d’idée ou à faire passer pour une découverte une chose des plus banales et entendues.
On lira aussi des textes du sociologue Raymond Boudon, du philosophe Dominique Lecourt, de l’ethnologue Régis Meyran et de la sociologue Romy Sauvayre. L’ensemble intéressera à la fois les chercheurs de chacune de ces disciplines, les sceptiques endurcis qui y trouveront de nouveaux éléments provenant de l’intérieur des sciences humaines, et tout esprit soucieux d’éviter le démagogisme cognitif.
Il y aurait par ailleurs eu place, dans un tel volume, pour un texte analysant la nécessité, pour les sciences humaines, d’être en harmonie avec ce que disent les sciences de la nature. Une science, en effet, doit toujours être en concordance avec les niveaux qui la précèdent: aussi vrai que la chimie doit être cohérente avec les lois de la physique, aussi vrai la sociologie et la psychologie doivent-elles être au diapason de ce que nous révèle la biologie du comportement, ou du moins ne pas être en contradiction avec ce niveau de la réalité humaine. Ce défaut est l’un des plus grands facteurs de risque pour les sciences humaines.
À Montréal, on peut trouver le volume Sciences et pseudosciences aux librairies Archambault et aux librairies Raffin. On peut aussi le commander directement des Éditions Matériologiques, en version numérique ou papier.
Bonjour M. Baril. Où placerait-on l’effet placebo? À l’intérieur de la méthode scientifique ou pseudoscience ? Merci
Très bonne question. Contrairement à ce que l’on croit parfois, l’effet placébo n’est pas une illusion; c’est un effet physiologique réel et mesurable, mais qui se produit en l’absence de molécule active apportée par le placébo. En fait, tous les médicaments, allant de l’aspirine à la morphine en passant par les antidépresseurs, ont un effet placébo mais leur action va bien au-delà de cet effet. En pharmacologie, une molécule qui n’irait pas au-delà de l’effet placébo sera considérée inefficace.
C’est sur ce processus mal connu que reposent toutes les médecines alternatives dont l’action se limite à soulager de faibles douleurs.
Mais toutes les médecines alternatives ne sont pas à ranger au même titre dans les pseudosciences. Selon un dossier de Science & Vie (janvier 2015), l’acupuncture a un effet de modéré à fort dans le soulagement des douleurs lombaires (ce qui pourrait être plus élevé que le seul effet placébo). Elle mérite toutefois d’être classée dans les pseudosciences parce que cette efficacité n’a rien à voir avec les préceptes postulés par les acupuncteurs (les méridiens s’avérant inexistants). Par contre, l’homéopathie ne va jamais au-delà d’un effet placébo.
Donc, le placébo n’est pas à proprement parler une « méthode » mais un effet biologique observé tant dans dans la médication pharmacologique que dans les techniques de conditionnement psychologique. Le terme pseudoscience qualifie le discours non scientifique tenu par les défenseurs des médecine alternatives, discours qui leurre ou même exploite la crédulité populaire.
M.Baril. Remerciements pour toutes ces précisions et nuances.