C’est maintenant établi: les prières dans les conseils municipaux portent atteinte à la liberté de conscience des citoyens et contreviennent à l’obligation de neutralité religieuse de l’État. Ainsi en a statué la Cour suprême du Canada dans son jugement unanime sur la plainte concernant la prière municipale à Saguenay (le résumé se trouve dans les pages 6 à 12 de la version PDF).
Cette cause a retenu l’attention de diverses instances juridiques depuis pas moins de neuf ans! Le plaignant, Alain Simoneau, un ex résidant de Saguenay soutenu par le Mouvement laïque québécois, a tenu à rappeler qu’il avait dès le début proposé au maire de Saguenay, Jean Tremblay, de remplacer la prière par une minute de silence. Cet accommodement aurait évité toute cette saga judiciaire mais le maire l’a refusé et la situation se retourne aujourd’hui contre lui. Le maire Tremblay avait également promis de ne pas engager de fonds publics pour défendre sa cause, une promesse qu’il n’a pas tenue.
Pour la Cour, le fait de demander aux citoyens qui ne veulent pas participer à la prière de quitter la salle lors de sa lecture ne fait qu’« exacerber la discrimination ». Le fait que la prière soit supposément œcuménique, selon ce qu’a fait valoir la ville de Saguenay, n’a pas été retenu par la Cour. Selon les juges, le caractère non confessionnel de la prière n’a pas été établi et « même si on la qualifiait d’inclusive, elle risque néanmoins d’exclure les incroyants ».
Le préambule de la constitution canadienne, qui reconnaît la « suprématie de Dieu » est quant à lui réduit à une « thèse politique » qui n’a aucune portée juridique. Ce préambule, qui était un autre argument avancé par Saguenay, « ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l’État à professer sciemment une foi théiste », peut-on lire.
En outre, la Cour suprême maintient l’ordonnance du Tribunal des droits de la personne à l’effet de condamner la ville de Saguenay à verser 30 000 $ à Alain Simoneau à titre de dommages punitifs pour l’avoir ostracisé dans cette démarche citoyenne tout à fait légitime.
La « neutralité bienveillante » n’est pas la laïcité
La Cour suprême invalide en fait la totalité du jugement de la Cour d’appel du Québec qui avait donné raison au maire Jean Tremblay et elle rétablit l’entièreté du jugement du Tribunal des droits de la personne qui avait donné raison au Mouvement laïque québécois. Elle invalide aussi le concept de « neutralité bienveillante » qu’avait retenu la Cour d’appel en guise de principe de laïcité. La neutralité bienveillante est une notion empruntée à la psychothérapie et qui commande au psychothérapeute d’être neutre et bienveillant à l’égard de son client. Cette notion n’a pas sa place en droit et surtout pas en matière de laïcité.
« L’obligation de l’État de demeurer neutre en matière religieuse n’est pas conciliable avec une bienveillance qui lui permettrait d’adhérer à une croyance religieuse », statue la Cour.
Il peut s’agir ici d’une brèche dans le mur de la « laïcité ouverte » puisque la neutralité bienveillante est tout simplement une autre façon de nommer la « laïcité ouverte ».
Même si, contrairement au jugement du Tribunal des droits de la personne, la Cour suprême ne va pas jusqu’à ordonner le retrait du crucifix et de la statue du Sacré-Cœur qui se trouvent dans les salles des assemblées municipales de Saguenay, on peut trouver dans le jugement des provisions pour réclamer le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale.
La Cour affirme en effet que:
« si, sous le couvert d’une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l’État adhère à une forme d’expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité. »
On peut aisément soutenir que lorsque le président de l’Assemblée nationale siège sous un crucifix, il s’agit là d’une adhésion à une forme d’expression religieuse. Le supposé caractère patrimonial ou historique attribué à ce crucifix ne lui enlève pas son caractère religieux.
Je ne bouderai pas mon plaisir!
La Cour suprême invalide du même coup les témoignages de la théologienne Solange Lefebvre et de l’ethnologue Gilles Bibeau qui, contre tout bon sens et au prix de se discréditer intellectuellement, ont soutenu que la prière n’était pas une prière et que les symboles religieux n’étaient pas religieux.
« Le Tribunal [des droits de la personne] pouvait raisonnablement conclure que la prière de la Ville est en réalité une pratique dont le caractère est religieux », écrit la Cour suprême.
Elle rétablit ainsi entièrement de mon témoignage à titre d’anthropologue et qui avait été retenu par le Tribunal des droits de la personne mais écarté par la Cour d’appel sous prétexte que je suis une figure du Mouvement laïque québécois.
« Le lien entre un expert et une partie ne le rend pas automatiquement inhabile » statue la Cour .
Et si le Tribunal des droits de la personne a retenu mon témoignage de préférence à ceux de Lefebvre et Bibeau, c’est qu’il a été jugé plus probant. Ce témoignage a conduit le Tribunal à prendre une décision « étayée par des motifs étoffées et intelligibles ». C’est la Cour suprême qui le dit…
C’est à l’avocat Luc Alarie que l’on doit la défense de cette cause devant les trois instances juridiques, soit le Tribunal des droits de la personne, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada.
****
Autre article sur le sujet: La Cour suprême n’a pas fermé la porte à l’interdit des signes religieux
Victoire historique. Félicitations Daniel
Leon
Ne criez pas victoire trop vite. Je suis heureux de voir Jean Tremblay se faire remettre à sa place, mais le Juge Gascon ne fait pas de brèche dans la laïcité ouverte si on se fie au paragraphe 74: En n’exprimant aucune préférence, l’État s’assure de préserver un espace public neutre et sans discrimination à l’intérieur duquel tous bénéficient également d’une véritable liberté de croire ou ne pas croire, en ce que tous sont également valorisés. Je précise qu’un espace public neutre ne signifie pas l’homogénéisation des acteurs privés qui s’y trouvent. La neutralité est celle des institutions et de l’État, non celle des individus (voir R. c. N.S., 2012 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 726, par. 31 et 50-51). Un espace public neutre, libre de contraintes, de pressions et de jugements de la part des pouvoirs publics en matière de spiritualité, tend au contraire à protéger la liberté et la dignité de chacun. De ce fait, la neutralité de l’espace public favorise la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne que consacre l’art. 27 de la Charte canadienne . Cet article implique que l’interprétation du devoir de neutralité de l’État se fait non seulement en conformité avec les objectifs de protection de la Charte canadienne , mais également dans un but de promotion et d’amélioration de la diversité (R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 95; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 757; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 758; Big M, p. 337-338; voir aussi J. E. Magnet, « Multiculturalism and Collective Rights », dans G.-A. Beaudoin et E. Mendes, dir., Charte canadienne des droits et libertés (4e éd. 2005), 1259, p. 1265).
Le jugement est bien sûr teinté de multiculturalisme qui est l’ un des fondements de la charte canadienne. Mais sur la question centrale de ce jugement qui concerne la laïcité des institutions publiques et la cessation des prières, l’approche républicaine de la laïcité et celle de la « neutralité libérale » se rejoignent tant dans l’argumentaire que dans les résultats. Et nous avons la reconnaissance que l’athéisme fait partie de la diversité sociologique et qu’il commande le respect des mêmes droits.
Le paragraphe 74 parle d’ « acteurs privés ». Est-ce qu’un fonctionnaire qui dispense un service public est un « acteur privé »? Je vois mal qu’on interdise à un maire de faire une prière verbale alors qu’on permettrait à un employé d’État en contact avec le public d’exprimer la même chose par ses vêtements ou tout signe ostentatoire. La question reste posée et ce paragraphe est accessoire à la cause.
Les avis divergent sur cette question qui est loin d’être accessoire.. http://blogues.radio-canada.ca/auger/2015/04/16/laicite-deux-distinctions-importantes/
Une réponse plus élaborée à cette analyse dans cet autre texte:
http://voir.ca/daniel-baril/2015/04/22/la-cour-supreme-na-pas-ferme-la-porte-a-linterdit-des-signes-religieux/
Souhaitons que les « croyants » ne prennent pas cela comme un acte hostile de la part des « athées » mais plutôt que cela ouvre de nouveau un débat honnête sur un pilier indispensable à une démocratie moderne.
L’esprit humain a besoin…
nous avons besoin…
de quelques recoins de notre vie collective
épargnés par la pensée formatée
et les postures d’interdits et de dogmes.
Nos enfants ont besoin de plonger les uns vers les autres,
pas de comparer leurs degrés de ferveur convictionnelle.
J’ai besoin d’aller vers l’autre
sans qu’il me fasse « un signe »
et que je sache d’avance
qui il est.
Même si je suis croyant ,ce jugement ne m’affecte pas .J’espère par contre que l’on gardera le crucifix à l’assemblée Nationale.Jean Tremblay a dépensé trop de temps ,d’argent et d’énergie dans cette cause .J’ai bien peur maintenant pour notre patrimoine religieux .Montréal à du charme grâce à ses églises et à sa croix sur le mont Royal.La resplendissante église St -Jean Baptiste à Québec risque de tomber dans l’oubli …etc etc.Si on pouvait au moins créer plus de parcs pour protéger nos forêts du Québec.Ou si on se décidait à sauvegarder notre langue Française….Notre culture s’en va….
Comment faites-vous pour ne pas voir la différences entre un Conseil communal ou l’Assemblée Nationale et la rue ?
Cela doit être parce que je considère que l’Assemblée Nationale fait partie de notre identité culturelle.
Raison de plus pour y retirer le crucifix placé là, au-dessus de la tête du président de l’Assemblée Nationale, en 1936 par Maurice Duplessis:
1) Pour symboliser rien de moins que la suprématie de l’Église sur l’État
2) Pour sceller son alliance de l’époque avec l’Église catholique à un moment où les deux s’unissaient pour bloquer tout progrès social, en particulier refuser de redonner aux Québécoises le droit de vote.
Notre « identité culturelle » ne devrait pas être un rappel constant de la Grande Noirceur et l’affirmation, dépassée, de la suprématie de l’Église sur l’État.
D’autant plus que même les évêques catholiques du Québec considèrent ce crucifix pour ce qu’il est (un symbole religieux) et disent qu’il n’a plus sa place à l’Assemblée Nationale. Les « défenseurs » du crucifix de Duplessis sont plus catholiques que les évêques. On nage ici en plein ridicule.
Le marché noir des bains aux aînés actuellement dans les Laurentides,c’est de la grande noirceur .Ne croyez -vous pas?
Et notre système actuel d’éducation pourri, c’est de la grande noirceur ça aussi!
Si on enlève le crucifix ,ça veux-tu dire qu’il faut enlever la croix blanche du drapeau Québécois?
On va s’arrêter où? Va t-on nommer le fleuve Laurent ?Le crucifix ne symbolise pas seulement la période Duplessis mais ça symbolise le Catholicisme dans l’histoire du Québec ,et ceci a commencé il y a un peu plus de 400 ans.
Pour ce qui est des évêques Catholiques du Québec ,je me demande où avez-vous pris vos sources pour déclarer qu’ils sont contre le crucifix à l’Assemblée?
» Mais cette position, partagée par les trois principaux partis à l’Assemblée nationale, dérange profondément les évêques catholiques du Québec. « Le crucifix est bien plus qu’un objet patrimonial ou un symbole, le crucifix est l’expression d’une foi », plaide Mgr Noël Simard, évêque de Valleyfield.
Si le crucifix doit rester, les évêques estiment qu’il faudrait alors travailler sur la revitalisation de cette foi. Sinon, autant s’en débarrasser. »
Source: http://www.radio-canada.ca/regions/mauricie/2013/09/19/001-eveques-charte-valeurs-quebecoises.shtml?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter
Et le crucifix au-dessus de la tête du président de l’Assemblée nationale représente, non -as 400 ans de catholicisme. Il n’est là que depuis 1936. Et pour symboliser la suprématie de l’Église sur l’État.
Qu’est-ce qui empêche de retirer le crucifix pour le mettre bien en vue à l’entrée (ou dans un musée) dans une vitrine avec une belle plaque commémorative qui explique son histoire ? Les gens en profiteraient bien plus et pourraient même se prendre en égo-portrait à côté.
Les autres symboles (comme la fameuse croix sur le drapeau ou le nom du Saint-Laurent) peuvent bien rester, parce qu’eux représentent l’histoire, sont beaucoup plus anciens et n’ont plus guère d’autres significations.
Personne ne parle d’effacer l’histoire. Simplement de retirer un symbole de la suprématie de l’Église sur l’État pour le mettre là où il représente l’histoire.
P.S. Les horreurs actuelles n’excusent en rien de laisser traîner des symboles aussi archaïques. Et si vous vous informez, vous réaliserez que nous sommes nombreux à se battre contre les horreurs causées par les coupures depuis 33 ans dans les services publiques. Et depuis 33 ans.
Un combat n’en exclut pas un autre. Un peu tanné de cet argument ridicule.
(Aussi intelligent que si je retournais l’argument en prétendant que comme vous vous battez POUR le crucifix de Duplessis, vous légitimer tout le reste).
Je ferai remarquer que c’est sous le gouvernement Duplessis que fut choisit le drapeau actuel du Québec.Maurice Duplessis était un ardent défenseur de la religion Catholique.Et oui ,j’ai déjà lu ça à quelque part que la croix blanche du drapeau Québécois symbolise la religion Catholique ,le blanc symbolise la neige.
La croix blanche est en fait tirée de nombreux drapeaux de la marine de guerre ou marchande de la France royale. Comme le fond bleu et les fleurs de lys d’ailleurs.
La seule différence est la couleur des fleurs de lys: dorée en France depuis les capétiens directs; blanche ici, couleur de la dynastie des Bourbon (dernière dynastie française et celle qui régnait au moment de la fondation de la Nouvelle-France). Ainsi que leur nombre *souvent trois sur les drapeaux royalistes) et leur disposition.