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Machinegun Suzie: panthères de party

Pouliche, batteure de Machinegun Suzie, pendant le test de son: «Eille le soundman, peux-tu pas mettre de spot su' moé s'te-plaît?»

(Réponse inaudible du sonorisateur)

Pouliche: «Ouain, c'est bon, j'veux juste pas me sentir comme au Dagobert à Québec.»

(Éclats de rire dans la foule.)

Peu importe les élans artistiques du sonorisateur/éclairagiste samedi dernier, pourtant, suffisait de tremper les lèvres dans sa canette de Pabst Blue Ribbon – un goût auquel on s'habitue comme on apprivoise en vieillissant l'idée de sa propre mortalité – pour être rassuré sur l'endroit où l'on se trouvait: Bar Le Magog, Sherbrooke. 

Ce qui n'a pas empêché Yvonne Eric, vétérane chez MgS, de se demander si elle était atterrie dans le bon bar. Pour qui n'a pas mis le pied dans ce refuge de beaux marginaux depuis 4 ou 5 ans, le choc peut être frontal, le Magog ayant depuis gommé petit à petit sa brune singularité de dive-bar pour se transformer, à l'aide de fresques au graffiti, de lumière noire et d'une effigie de Slash peinte au mur, en bar rock tout à fait fréquentable. La chanteuse affichait donc une stupéfaction mi-épatée, mi-consternée, en retrouvant le lieu de vieilles folies dépouillée de sa patine d'établissement de seconde zone, celle-là même que les garage-rockeurs comme elle affectionnaient tant jadis.

Pour la petite histoire, la dernière visite de Eric en sol sherbrookois remontait à un concert des Hellcats (groupe-culte de Québec). Ou peut-être était-ce à un concert de Half Baked, au sein duquel l'imprévisible Yann Godbout lui avait demandé de «jouer des gogosses», sans même qu'elle ne connaisse les morceaux. Malheureusement, aucun Marcel Tessier de l'underground ne se trouvait sur place pour trancher le débat.

Observer les quatre mitrailleuses de Machinegun Suzie glander avant leur concert faisait déjà craindre que leur stoner rock/grunge ravage tout sur son passage et passe à tabac les autres formations inscrites à l'horaire ce soir-là. Comment ne pas se méfier de filles qui tapent tout de go "Queens of the Stone Age", comme par réflexe, dans le jukebox digital? De filles qui prétendent venir du Royaume-Labeaume, mais qui pourraient faire croire à n'importe qui qu'elles sortent d'un film de Tarantino? Comment ne pas s'éprendre de filles qui ne rouspèteront pas devant un cachet plus que ridicule (avec cinq noms à l'affiche et un prix d'entrée de 6$, pas de miracle à faire), mais qui jetteront rapidement l'anathème sur quelques frimeurs issus des autres groupes, parce qu'ils refusent de s'enfoncer avec elles dans les précipices d'une célébration d'après-concert digne de ce nom et dans la valeur refuge rock'n'roll par excellence, l'alcool.

On dira à la décharge de ces musiciens qu'elles en imposent les Suzies, fauves à la scène et panthères de party à la ville.

Steph avait initié les hostilités en grattant sa basse de manière à imiter le son d'un bécyk à gaz que l'on met en marche. Yvonne Eric était assise, prostrée comme si de rien n'était, les pieds pendants au bout de la scène, sachant trop bien, après toutes ces années, qu'il n'y a rien de plus ensorcelant que cette feinte nonchalance et, pourquoi pas, une main désinvolte passée dans les cheveux. Ce qui n'a pas manqué de charmer la communauté lesbienne de Sherbrooke qui avait délégué un festif contingent sur place.

«I'm a bad stripper baby», rugissait Yvonne, pour mieux convaincre du contraire en un coup de hanche l'instant d'après. Elle faisait mine de crapahuter sur scène, franchissait des obstacles imaginaires la très sauvage chanteuse, en mesurant trop bien ses effets pour camoufler sa volonté de mettre tous les gars à genoux, bien qu'en laissant savoir, par une oeillade tranchante, qu'elle pourrait foutre son poing sur la gueule de n'importe quel petit con de "gars du Voir de l'Estrie" qui oserait la comparer sur son blogue à une strip-teaseuse ou à une panthère.

Pouliche, dans une camisole de Sid and Nancy en lambeaux, ruait de coups son instrument comme s'il s'agissait d'un gars qui avait cocufié sa meilleure amie. Mais ce n'était bien qu'une batterie et personne ne périrait dans l'incident, outre une caisse claire trop frêle pour survivre aux agressions de sa propriétaire. 

Steph, derrière la basse, serait «la fille qui ressemble le plus à son instrument [une Rickenbacker] que j'ai rencontrée de ma vie», selon la sibylline formule de l'ex-Brigitte Bordel Pier-Antoine Van Gogöl, importante figure d'un Sherbrooke Underground du passé, entichée de rock'n'roll sixties et de films d'horreur, qui ne survit plus désormais qu'à Montréal ou dans les salons de quelques préretraités de la vie nocturne. La bassiste gratifiait d'une sorte de sourire sadique la foule, dos à dos avec Yvonne, évitant cette fois-ci de coincer ses cheveux dans ses cordes (contrairement à ce qu'elle avait annoncé en entrevue).

Gab, elle, s'est pointée affublée de lunettes d'aviateur à la Howard Hughes (ou à la Dédé Fortin, c'est du moins ce que Pouliche, après le show, envoya – d'après le ton de sa voix, elle l'entendait comme une insulte – à un Charles Lavoie (le débonnaire leader des b.e.t.a.l.o.v.e.r.s) qui passait par-là et qui avait emprunté les lunettes, question de voir si lui-aussi ne pourrait pas intégrer l'élément de costume à son attirail de scène). Gab, donc, l'arme cachée du groupe, haute comme trois pommes, dégainait sa hache, la tendait comme un arc pour scanner la foule, en apparence à la recherche d'un misérable à exécuter sommairement. Ce ne sont finalement que ses solos qui dilacèrent; derrière son regard brumeux se cache une fille adorable pour qui l'anneau dans le nez semble avoir été spécialement inventé. "Le gars du Voir de l'Estrie" l'aime et cela n'a rien à voir avec le coeur qu'elle a dessiné sur sa copie de leur démo.

Il était 2h30 et la fête s'essoufflait quand le journaliste a quitté. Pouliche venait de terminer un récital a cappella. Au programme: la moitié de l'oeuvre d'Aut'Chose, le vieux groupe de Lucien Francoeur à qui Machinegun Suzie doit son nom, et Crabe, un hymne aux crustacés miniatures des défunts Goules. Elle essayait maintenant, les notions de géographie embrouillées, de convaincre ses amies de rentrer à Québec avant le last-call. La batteure se brûlait d'assouvir, avec le videur d'un bar de la capitale que les filles surnomment leur "salon", son furieux désir de frencher.

Les autres rêvaient déjà de déjeuner graisseux et vociféraient une parodie calorique d'un hit de U2, Sunday Bacon Sunday, avec une intensité qui aurait fait rugir Bono de rage jalouse.