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Les 10 ans de Dare to Care/Grosse Boîte en 10 chansons marquantes

L'étiquette Dare to Care et sa filiale franco Grosse Boîte soufflaient ses dix bougies le 6 mai dernier à Sherbrooke.

Sur la scène du Théâtre Granada, Jimmy Hunt, Tricot Machine et Bernard Adamus ont tous célébré la maison de disques qui leur a permis d'éclore, avant que We Are Wolves ne pulvérise la piñata et invite tous les spectateurs à les rejoindre sur les planches pour une séance d'impro collective bordélique. Bernard Adamus qui s'époumone dans son harmonica sur un rythme carré de We Are Wolves? C'était quelque chose… 

De ses très DIY débuts au succès fracassant de Cœur de pirate, Dare to Care est passé maître dans l'art de faire traverser à des artistes pas comme les autres et/ou mal fagotés la mince ligne qui sépare la marge du mainstream, sans totalement tourner le dos aux faiseurs de chansons au moins fort potentiel commercial.

Question de souligner l'éclectisme et l'audace des choix de Dare to Care/Grosse Boîte, voici la compilation Du haut de la King composée de dix chansons marquantes issues de leur catalogue.

Au rang des remarquables oubliés: The Sainte Catherines et Avec pas d'casque. Pardonnez-moi.

Lire l'entrevue d'Olivier Robillard Laveaux avec Éli Bissonnette, cofondateur de l'étiquette.

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1. Suck la Marde – Rock ta mère

De la grosse défonce qui ne s'embarasse pas de nuances, un appel à la sédition!, parce que le travail de sape que mène RockDétente sur les ondes hertziennes commande une réplique sans nuance, un tir groupé.

J'aime à penser que le changement de nom annoncé récemment par la station qui «rock ta mère» est une réaction tardive aux cris fugaziens et aux riffs sinueux, façon At the drive-in, grattés par la bande de mutins de Simon Leduc.

On réécoute les six chansons du split de Suck la Marde (avec Selfmademan) – son seul enregistrement – en regrettant que la colère juvénile et l'altermondialisme primaire ne soient presque plus à l'ordre du jour dans le rock québécois. Depuis la mort de MAP, ne reste plus que les Vulgaires Machins et, dans une moindre mesure, La Descente du Coude (voir plus bas) pour porter le flambeau de l'insubordination et tenter de stopper net, avec un mur de disto, la longue marche tranquille du capitalisme aveugle.

«Et alors que les journaux titraient "La reine est morte", une rumeur soufflait tendrement: "Vive Suck la Marde!"»

Quel nom adorable!

2. Malajube – Le métronome

La chanson phare du premier disque de Malajube, Le compte complet, a presque valeur programmatique avec son refrain qui, tout en exhortant à faire la fête, laisse déjà présager le contrepoint mélancolique, quasi funeste, de Trompe-l'oeil. C'est qu'avec son «tant qu'on», Julien Mineau admet tacitement que le party pourrait un jour prendre fin. Du carpe diem punk à son meilleur: «Tant qu'on pourra chanter / Tant qu'on pourra danser / Tant qu'on pourra frapper dans nos mains / Tant qu'on pourra rêver / Tant qu'on pourra crier / Tant qu'on pourra nuire aux sangliers».

Cette allusion aux sangliers peut être lue comme un appel au boycott des produits du porc du Québec.

Selon nos sources, Érick Rémy serait encore à ce jour persuadé que Mineau s'adresse à lui quand il crie «on aime Rémy!»

3. La Descente du Coude – L'axe du mal malaxé

Ils ont dû en verser des larmes les gars de La Descente du Coude quand "Macho Man" Randy Savage est mort la semaine dernière. Mieux que tous ses confrères testostéronés, le lutteur gonflé à bloc s'élançait du troisième câble avec une vélocité et une grâce d'oiseau migrateur pour infliger aux "méchants" sa puissante descente du coude.

Le coup que décoche Simon Leduc (ex-Suck la Marde) et sa bande dans le morceau qui ouvre leur premier ep possède la même vélocité et la même force d'impact. Et les méchants, ici, sont de vrais méchants. «C'est la fête!» (pour reprendre une expression chère à Guy Hauray, ex-commentateur de la WWF) à George "armes de destruction massive" W. Bush, Saddam "mes amis les Kurdes" Hussein et Ariel "sur le respirateur artificiel depuis combien de temps déjà?" Sharon.

Premier coup de poing (ligne de guitare nerveuse), deuxième coup de poing (batterie explosive), troisième coup de poing (chant sardonique), il s'élance dans les câbles… le coup de la corde à linge et le tombé…1…2…3!

Le gagnant: La Descente du Coude!

4. Bernard Adamus – Acapulco

Bernard Adamus cultive une posture de joyeux bougon, de cheval rétif, d'indocile drop-out. Toujours sur son quant-à-soi, le barde brun pourrait difficilement avoir plus l'air de se foutre de ce que vous pensez de lui. En entrevue, chaque mot qui sort de sa bouche est une victoire arrachée de haute lutte. Sur disque, son irrévérence scatologique nourrit une aura d'incorruptible rebelle sans cause.

On se retrouve donc d'autant plus attendri quand, après avoir déconné autour de sa bol de toilette, l'impassible bluesman dévoile sa vulnérabilité et se plaint d'«avoir le deuil au ventre pis l'empreinte dans le sang». Il rêve d'Acapulco, ou de la chaleur tropicale du corps de la fille en-allée. «Un jour tu vas rentrer à maison / mais en attendant c'est donc ben long.» Qu'est-ce qu'elle attend la maudite sans-coeur?

C'est à faire pleurer les pierres.

5. Le Husky – Mourir comme un chien

Bip, bip, bip, bip. Qu'entends-je? L'avertissement d'un camion qui recule? Le son d'un électrocardiogramme? Le four à micro-ondes fier de m'apprendre que mon dîner Kraft est prêt? Non, c'est Le Husky et sa Chanson moderne pour cyniques romantiques.

Cynique, le mot est peut-être un peu fort. Parce qu'il vit d'espoir Yannick Duguay, refuse de renoncer à l'amour adolescent qui fait maaaaaaaallll, à la passion qui gambade et au désespoir qui assaille.

S'il pouvait sombrer dans le vrai cynisme aussi, se claquemurer dans le silence ou…je ne sais pas… baiser la première fille venue.

Mais non, le barbu est nostalgique d'une enfance fantasmée de candeur et d'amour courtois, en deuil d'un monde où les filles sont comme des oiseaux, d'une époque où David Bowie était la grande figure tragique, d'une forêt imaginaire qui porte en son sein la maison hantée, lieu de toutes les transgressions. Normal que l'épreuve de la réalité entraîne une déception… et un paquet de maudites belles chansons.

6. La Patère Rose – Décapote

Cette comptine, c'est non seulement une vicieuse incitation aux relations sexuelles protégées (bravo pour la belle conscience sociale Grosse Boîte!), c'est la transformation de Fanny Grosjean en Fanny Bloom, la mort de la gagnante un peu gauche de Cégep en Spectacle et la naissance d'une diva lascive, d'une chanteuse qui n'a peur de rien, tout en sourires équivoques et murmures de fausse naïve.

«Étend-toi sur la banquette arrière!». Ce n'est pas une vague suggestion, c'est un ordre. Comment ne pas obtempérer? Et comment ne pas s'incliner devant un vidéoclip mettant en vedette Richard Z. Sirois dans le rôle (de composition?) d'un mononcle libidineux?

7. We Are Wolves – Coconut night

Tout se côtoie et se chevauche chez We Are Wolves: le mystique et le trivial, la défonce du pit punk rock et la transe du rave techo, Ozzy Osbourne et Neu!, le cocaïne et l'encens, le satanisme et l'angélisme, la froideur anxiogène des 80's et la paix gaga des 60's, la violence de la nature et la cruauté des villes, le cul pas propre et l'amour fou.

Plusieurs chansons de Total magique, leur magnum opus, auraient pu être retenues. Je jette mon dévolu sur Coconut night, pour ses propriétés grisantes.

8. Roller Starter – Ice cream girl

Trichons un peu: l'album de Roller Starter est d'abord paru sur étiquette Empty Pool, avant d'être réédité par DTC.

Dire que le ska est un genre snobé tient de l'euphémisme. Pris de haut par une certaine critique, il bénéficie heureusement ces jours-ci d'un regain d'intérêt nostalgique de la part de ceux qui ont déjà cru, adolescents, que Voodoo Glow Skulls sauverait le monde.

Rejetés aux confins des musiques cool, les chansons de la troisième vague ska des années 90 et 00 rappellent aujourd'hui une époque qui aura permis à plusieurs trompettistes timides de vivre leur rock (on accepte moins facilement qu'un musicien se mette en bédaine sur scène dans le milieu du jazz, par exemple).

Rêche et percutant, Roller Starter, qui effectuait justement un retour le week-end dernier pour le Pouzza Fest (un fan en fauteuil roulant aurait fait du body surfing, c'est dire l'intensité du concert) incarne la rencontre réussie entre la légèreté ska et la rage hardcore. 

9. Jean Leloup – Old lady wolf

Fier d'un catalogue solide, Grosse Boîte recrute désormais des figures respectées et respectables de la chanson québécoise comme Mari-Jo Thério et Jean Leloup.

De toute l'oeuvre leloupesque, Old lady wolf, avec sa ligne de basse digne de Bootsy Collins comme pierre angulaire, distille probablement le groove le plus sale.

Et la version qu'il en a donnée au gala de l'ADISQ demeure un des plus jouissifs doigts d'honneur adressés à l'industrie de la part d'un éternel anticonformiste.

10. Chocolat – Jean Ferrat

N'importe quelle pièce du récent album solo de Jimmy Hunt aurait pu être retenue. Élisons néanmoins, par pure coquetterie, cet hommage aux vinyles qui sentent l'humidité et aux étreintes languides d'après-midi, extrait de l'unique album complet de son groupe, Chocolat.

Une des rares chansons d'amour heureux du Dylan de la Saint-Denis chez qui habituellement rien ne tourne rond.

photo: David Valiquette