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Du charisme irakien et travesti au FTA

Courir le marathon du FTA veut parfois dire faire le grand écart. Hier soir, c’était le cas entre Irakese Geesten (Fantômes irakiens) de Mokhallad Rasem, et (M)IMOSA, twenty looks or Paris is Burning at the Judson Church, de Trajal Harrell. Entre le Prospero et la Cinquième salle de la PdA, il fallait traverser un bout de la ville, du déluge et de la manifestation nocturne, mais surtout passer de la guerre en Irak revisitée par un jeune Irakien vivant en Belgique et un hommage au fameux courant du « voguing » par quatre magnifiques danseurs de Paris, Lisbonne et New York. Deux expériences extrêmes qui parodient le spectacle de manière fort différente, des performances éclatées, dérangeantes, charismatiques.

Avec Irakese Geesten, trois acteurs Irakiens et deux actrices germano-flamandes font le portrait impressionniste de la guerre en Irak. La narration est complètement déchirée, aussi chaotique que peut l’être la guerre. La beauté de ces tableaux très personnels vient de ce choix d’évoquer les émotions et les images de la guerre non pas littéralement, mais par des suggestions. La violence est transmise au spectateur par des bruits insupportables, l’absurdité par des comportements incompréhensibles. L’auteur a choisi d’explorer les répercussions personnelles et internes de la guerre sur les individus : troubles de perception, désordres psychiques et physiques (représentés par des transes, crise d’asthme, retour à une étrange animalité), cauchemars. Jouant sur les ruptures constantes de ton et de rythme, les chocs abrupts, le fossé entre les expériences personnelles, cette pièce coup-de-poing, parfois un peu conceptuel ou même agaçante parce que trop abstraite, demeure un geste artistique courageux avec de puissantes images (le repas bordélique avant la guerre est mémorable). La remise des prix calquée sur les Oscars pour les victimes de la guerre irakienne fait rire jaune, d’abord parce qu’on ne peut nier la récupération des images spectaculaires de la guerre en Irak dont les médias se sont gavés, mais aussi parce que les remerciements des trois lauréats fait réellement entrer la réalité dans la pièce surréaliste. La fin, bouleversante, rejoint celle de Valse avec Bashir (de l’israélien Ari Folman), une autre grande oeuvre inspirée de la guerre. Ce soir et demain, au Prospero.

(M)IMOSA, d’un tout autre genre, récupère aussi le spectacle mais façon exubérante et décomplexée héritée du célèbre courant du « voguing » dont elle s’inspire. Né à Harlem dans les années 1960 (dans une prison, raconte l’histoire), cette danse gay était à l’origine un acte de résistance contre la pauvreté, l’exclusion et une affirmation de la différence culturelle lancée par la communauté afro-américaine et latino. Inspirés des poses de mannequins de la revue Vogue, les « vogueurs » organisaient des concours de costumes où ils empruntaient le langage de la haute couture pour créer des défilés spectaculaires, exubérants, où la sexualité, l’érotisme et le travestissement étaient affichés ouvertement.

Si vous voulez assister à une démonstration de voguing virtuose, (M)IMOSA vous en donne plein la vue. Reproduisant le cadre de ces bals où concouraient les participants, les danseurs Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Trajal Harrell et Marlene Monteiro Freitas pastichent tous les genres de la danse et exaltent chacune des émotions sollicitées pour ces performances absolument délirantes d’exhibitionnisme assumé. Exaltée est certainement le meilleur adjectif pour décrire l’ambiance qui régnait hier à la Cinquième salle. Les trois premiers numéros sont absolument géniaux : danse électrique de Marlene Monteiro Freitas; opéra du « fuck » par un travelo jouant la diva (François Chaignaud) et cyborg complètement weird enveloppée dans un one piece couleur peau juché sur d’immenses talons se tortillant maladroitement (Cecilia Bengolea). Chaque personnage s’invente et se construit sous nos yeux (on voit les performeurs s’habiller et se déshabiller, se maquiller, enfiler les prothèses, s’assoir parmi le public) prétend être la vraie Mimosa, jouant allègrement avec cette dualité entre l’authenticité des témoignages de chacun et le travestissement constant. Rivalisant de mauvais goût (band de jeunes filles latinos qui se trémoussent comme des putes trop allumées, pastiche de comédie musicale, de ballet classique), les numéros s’enchaînent de façon aléatoire selon les soirs, me disait-on, un peu trop longtemps malheureusement. Le spectacle a duré deux heures hier soir. Certains tableaux font vraiment leur effet, notamment parce que les danseurs aux transformations successives ont un vrai talent d’acteur (particulièrement François Chaignaud). Une bonne vinaigrette un peu trop étirée, mais un show qui décoince. Dernière ce soir.