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L’art du carnage

La performeuse Julie Andrée T. propose avec Nature morte un spectacle qui peut laissé dubitatif et même agacer par son symbolisme et son éclatement pouvant apparaître hermétiques, mais en déplaçant notre regard de spectateur habitué à une certaine dramaturgie, on peut jouir de ce spectacle comme d’une expérience visuellement inouïe. Bien qu’il soit question de la mort, avec cette idée que nous sommes des animaux apprivoisés et dénaturés, c’est bel et bien un tableau vivant et traversé d’une force sauvage que nous offre cette artiste formée aux arts visuels et qui construit, en grande plasticienne, une « expérience paysagère » trash, philosophique et physique.

D’abord munie d’un micro, assisse sur un speaker, se balançant au vent en chantant le souvenir des actions humaines dans un doux mouvement nostalgique, Julie André T. se demande si elle rêve, si elle meurt, entrant doucement dans une zone hors du temps et du réel. Il faut ensuite s’accrocher pour ne pas perdre le fil des gestes parfois incompréhensibles (qui semblent frôler le n’importe quoi), mais qui mènent à des figures fascinantes, créées par son corps en relation avec le décor formé de panneaux amovibles de différentes couleurs, de miroirs, de pots de peinture dans lesquelles elle plonge ses mains, d’un squelette suspendu à une corde lié à son pied, le tout transformé par de magnifiques jeux de lumière et une bande sonore qui créent des atmosphères fantasmatiques et, avous-le, sublimes pour l’oeil. On a l’impression d’entrer dans une peinture de Dali, libre, comme dans une lecture psychanalytique, de trouver un sens et de faire les liens qui nous conviennent. L’installation-performance a quelque chose de surréaliste, de fou et de presque aliéné dans certaines actions qui modifient et détruisent le paysage, dans cette promenade d’un corps nu qui transperce la toile, déchire le plancher, se plante des batons dans le crâne, s’attache les mains comme une marionnette, se fonde aux couleurs, devenant le sujet actif d’une nature morte, une position qui, en soi, pose des questions intéressantes sur le croisement inusité de l’art visuel et de la dramaturgie.

Quand un orignal se détache du mur, laissait apparaître un « does not exist » qui suit le « pure white » écrit sur d’autres panneaux, on peut interpréter cette aphorisme de diverses façons, y voyant une réflexion sur la recherche de pureté dans un monde sale et massacré (la scène ressemble désormais à un champ de bataille), et la danse finale dans un bain rouge, avec un tablier de boucher, les bras attachés, avec un jet de plumes soufflées sur son corps, on trouve que la scène a décidemment l’air d’un carnage et la pièce, d’une sacrée peinture de boucherie humaine.

À vous de vous laisser imprégner de cet univers absolument original, parfois désopilant et confus, mais qui jette un éclairage nouveau sur la possible conjugaison du corps et de l’art platisque. La théâtralité n’est pas toujours achevée (la narration n’est pas l’élément le plus réussi de la performance et la gestuelle semble parfois datée), mais je salue l’audace et la beauté de la construction de l’oeuvre.