Je le sais baveux à souhait, fréquemment dans le trouble, satirique et iconoclaste. Une œuvre utile dans une société occidentale où le média tend à l’embourgeoisement, la sclérose idéologique, la frilosité assumée de la poursuite-bâillon, le lieu commun imposé.
Des chroniques « pipoles », discutant du bonheur des poules en ville, des vifs plaisirs afférents au jogging ou encore de l’addiction de Jo X à Facebook, occupent l’espace discursif au détriment d’enjeux minimalement sérieux. Clic et lecture faciles. Légèreté où la vie perso des chroniqueurs est elle-même devenue sujet d’actualité. Magazines de vie qui s’affublent le titre de journal.
Dans cet océan d’insignifiances, la pertinence des Charlie Hebdo de ce monde se veut, il va sans dire, indubitable. Non qu’on soit d’accord nécessairement avec l’ensemble de son contenu, ce qui est d’ailleurs mon cas. Mais faut reconnaître l’audace, le désir de remuer la vase de complaisance devenue ennemie de la vitalité journalistique.
Certains lui reprochent aujourd’hui son côté provocateur, histoire d’expliquer, un tant soit peu, l’incident. Erreur. D’abord, rien ne peut justifier ce qui vient de se produire. Rien. Un truisme.
Ensuite, n’est-il pas justement du ressort de la liberté d’expression de permettre le discours impopulaire, baveux, désagréable ? Malgré les limites inhérentes à celle-ci, notamment la propagande haineuse, les tribunaux ont systématiquement conclu au respect par l’hebdomadaire des divers paramètres acceptables.
Une critique sociétale autant impérative que nécessaire, ainsi donc. Pierre d’assise d’un régime qui se veut, au-delà du nom, réellement démocratique. Permettant de sortir des ornières creusées par les diktats du populisme vendeur, de la stérilité des échanges confrontationnels. De s’insurger, même durement, très durement, des gaffes politiciennes et autres dirigeants. D’attaquer de front les dérives religieuses, la bêtise corporative ou institutionnalisée.
Selon Jean-François Nadeau, du Devoir :
« La liberté de la presse ne s’use que si on ne s’en sert pas. Alors c’est facile de publier des billets puis faire des trucs de recette et ci et ça, de se contenter d’une suite infinie d’insignifiances pour remplir le temps dont on dispose. Mais quand on va aux limites, quand on va à la frontière, quand on va au pourtour de tout ça, c’est là où on teste les véritables limites de la liberté, et c’est bien ce que s’employaient à faire et Charb et Charlie Hebdo et ses amis qui sont décédés ce matin. » Difficile d’être en désaccord.
Cela dit, et sur une autre note, plusieurs, faciles à deviner, font déjà leurs choux gras des événements. De l’échec du multiculturalisme. Du raccourci intellectuel à la sauce amalgame populaire. Facile à préparer et servir. La cassette. On connait, c’est bon.
Pour ma part, pas trop envie de me faire resservir ce Kool Aid pour l’instant. Même pas envie de leur rappeler qu’eux-mêmes vantaient, encore avant-hier, les vertus de la laïcité française. Ce serait trop ironique.
Je pense plutôt aux victimes. À ce qu’elles représentent. Sur le plan de la vitalité journalistique, de la pluralité d’opinions, de la démocratie au sens propre. Puissent d’autres assurer la relève.
Merci, Charlie.
Twitter : @F_Berard
« …plusieurs, faciles à deviner, font déjà leurs choux gras des événements. »
ah oui qui ça?
Toute la question est que la liberté d’expression n’est jamais sans limites, et c’est l’interprétation de ces limites qui pose problème surtout quand celles-ci sont loin d’être objectives, ni d’être les mêmes pour tous.
En France: «Le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme, l’apologie du terrorisme ne sont pas des opinions, ce sont des délits»
Il faut relever que l’antisémitisme est considéré comme un délit alors que l' »anti-musulmanisme » ne l’est pas. (On n’a même pas de mots équivalent pour cela).
Donc écrire:
« Les juifs sont des cons » est un délit punissable.
« Les musulmans sont des cons » est une opinion critique permise par la loi.
« Les noirs sont des cons » est un délit punissable.
« Les femmes sont des connes » est une opinion critique permise par la loi.
Allez expliquer cela dans les écoles des banlieues!
Et expliquez-le moi aussi en passant…
Le fonctionnement à deux poids deux mesures est néfaste pour la cohabitation et provoque un sentiment d’injustice ou de « loi du plus fort » qui ne favorise pas l’adhésion aux principes légaux.