BloguesHugo Prévost

Madame Saint-Pierre, faites tomber ce mur !

Cette semaine, soyons fous : après tout, la chance sourit aux audacieux, et si le journalisme québécois a un défaut majeur, c’est celui de manquer d’audace. Pas que le milieu souffre d’un manque total d’innovation ou d’idées révolutionnaires, au contraire, mais la structure elle-même du journalisme dans la province, où la force de frappe journalistique est concentrée entre les mains d’une poignée de joueurs, ne fait rien pour aider à maximiser l’inventivité et susciter une saine compétition.

Jouons donc à un petit jeu, celui d’imaginer un Québec libéré du carcan de la concentration de la presse. En fait, allons plus loin et demandons carrément à la ministre Christine Saint-Pierre de déposer un projet de loi visant à casser l’oligopole de Gesca, Quebecor, Transcontinental, Astral et Cogeco sur les médias de la province. La tâche peut sembler herculéenne – et elle l’est certainement, mais ce serait le moment idéal de s’y attaquer. Après tout, Mme Saint-Pierre, votre parti est en assez mauvaise position dans les sondages, et les hauts cris que pousseraient les patrons de presse n’aideraient certes pas votre chef à demeurer premier ministre, mais un projet de loi déposé – et accepté – avant le déclenchement des élections permettrait certainement de laisser un héritage politique plus intéressant que l’un des nombreux scandales qui ont parsemé le mandat libéral depuis 10 ans.

Trêve de considérations politiques, attaquons-nous plutôt au nœud (gordien) du problème. Car comment faut-il faire pour démanteler non pas un, mais quatre ou cinq empires médiatiques ? Faudrait-il restreindre la propriété à deux médias seulement au lieu de trois, à un nombre maximal de journaux, de stations de télévision, ou encore de sites Internet ? Le web est-il considéré comme un média à part entière ou un rejeton du papier ? Que faire de Radio-Canada, une société de la Couronne, ou encore des entreprises pancanadiennes, comme Bell, qui a récemment acheté CTV ? Autant j’ai l’impression que les conglomérats médiatiques étouffent la diversité de l’information et les tendances innovatrices dans le domaine journalistique, autant la situation actuelle semble tenir davantage du nid de vipères (ou de la tour de blocs Jenga) que d’une construction stable qui serait facilement démontable.

N’empêche qu’il est temps d’agir. Le climat est acrimonieux au possible entre Gesca, Quebecor et Radio-Canada, à un point tel que l’atmosphère doit être irrespirable dans bon nombre de salles de nouvelles. Du côté des hebdos, il ne se passe pas deux semaines sans que Transcontinental ou Quebecor (encore eux) n’annoncent le lancement ou le rachat d’une publication, donnant l’impression d’une mosaïque de tabloïds tous pareils, où le contenu journalistique est produit pour combler les trous laissés par les espaces publicitaires. Bon, je m’emporte peut-être un peu : il existe du bon, voire du très bon contenu au sein des journaux hebdomadaires, mais lorsque cette course aux parts de marché vous est présentée par communiqués interposés, le tout donne une impression de froideur clinique particulièrement déplaisante.

Ne croyez-vous pas qu’un peu de diversité médiatique serait bénéfique au Québec ? Qu’au lieu d’avoir l’empire Péladeau et l’empire Desmarais s’affrontant par journaux interposés, avec le Devoir quelque part au milieu, il y aurait de l’espace pour cinq, six, ou encore sept quotidiens de langue française à Montréal et disons quatre ou cinq à Québec ? Peut-être s’agirait-il de publications de moindre envergure, sans les moyens très imposants de La Presse ou du Journal de Montréal, mais la diversité des voix serait assurée, tout en créant de l’emploi et en stimulant l’innovation dans le domaine journalistique. L’exemple de la salle de nouvelles de TQS, avant que les frères Rémillard ne passent la hache dans le service de l’information de la défunte chaîne, était représentatif d’une troisième voix souvent rafraîchissante.

En n’agissant pas pour combattre la concentration des médias, l’État ne fait qu’envenimer davantage une situation déjà très délicate, alors que des centaines de jeunes journalistes attendent de percer dans le milieu et, ne trouvant d’ouverture chez les grands joueurs, privent le domaine de leurs talents et de leurs idées.

Il est donc temps d’oser, Mme Saint-Pierre, plus que vous ne l’avez fait en tentant maladroitement de discuter d’un éventuel statut de journaliste professionnel. Relâcher l’étau dans lequel est actuellement enfermée la profession, ne serait-ce qu’en partie, aura certainement, à terme, plus d’avantages que d’inconvénients.

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Petit aparté du courrier des lecteurs, si on peut l’appeler ainsi : mon confrère et ex-collègue universitaire Alexandre Cayla a réagi à mon billet de la semaine dernière sur le manque de relève en journalisme. Dans un texte fort intéressant, il explique que le web, avec ses normes particulières, est entre autres un terrain dangereux pour les journalistes, qui souvent ne s’y connaissent que peu en programmation et développement en ligne. Je vous invite à consulter son site web pour y lire l’intégrale de son commentaire, et j’aborderai, la semaine prochaine, la question de la mutation vers le web.