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L’esprit de 1982, Jean Charest et les injonctions

1- C’est le «30e anniversaire» du rapatriement de la constitution canadienne et de ses modifications radicales, apportées sans le consentement unanime de l’Assemblée nationale du Québec.

1982 doit être considéré comme «un coup» politique (est-ce un coup d’État?) puisque le Canada a alors transformé la nature de son régime politique, sans le consentement d’une composante non-négligeable du pays, à savoir l’une des nations fondatrices –  la seule province à majorité francophone, le Québec. Le contexte de l’époque rend encore plus illégitime cette refondation du Canada puisqu’elle s’est opérée après une promesse solennelle de Pierre Elliott Trudeau lors du référendum de 1980 de «renouveler le fédéralisme canadien». À l’époque, toute la classe politique québécoise, fédéraliste comprise, comprenait cette promesse comme favorisant un plus grand espace politique pour le Québec dans le pays canadien. Quel fût le résultat? Une négociation menée dans le dos du Québec, dans le but évident de le marginaliser, de le folkloriser, de l’ethniciser dans le grand tout multiculturel canadien.

Car depuis 1982, la Charte canadienne des droits et libertés, enchâssée dans la constitution a permis à une multitude de groupes et d’individus de contester avec succès la loi 101 qui cherchait pourtant simplement à faire du Québec une société capable d’intégrer ses immigrants en français en Amérique du Nord. Peut-on envisager faire du Québec une société d’accueil et d’intégration dont la langue normale est le français? Dans l’esprit de 1982, c’est NON.

Ce projet – fondamental à toute société – est fragilisé, sans cesse torpillé par «l’esprit de 1982». Cet esprit, c’est une logique juridique qui surclasse les parlements (pourtant lieu de délibération de majorités cohérentes) au profit d’une logique individualiste déstructurante et atomisante. C’est la politique du multiculturalisme qui fait de la différence québécoise une différence marginale et sympathique mais sans conséquence politique dans l’espace canadien: le Québec est un groupe (ethno-culturel) comme les autres dans cette mosaïque canadienne où il y a des Ukrainiens, des Chinois, des Polonais, des Trinidadiens, etc. Pourtant, il me semble que le nationalisme québécois moderne se soit construit sur une idée différente du ghetto folklorique replié, retranché dans une forme de préservation moribonde: intégrer ses immigrants en français, tel était notre projet. Aucune autre «communauté culturelle» au pays ne veut intégrer les immigrants à sa collectivité. Pas même les autochtones qui sont encore dans la survivance…

Mais non, c’est la politique trudeauiste du multiculturalisme qui nous emprisonne dans un nationalisme défensif. Avec elle, le Canada est un grand tout multiculturel et bilingue – il n’y a pas deux sociétés d’accueil au Canada, mais bien une seule qui intègre ici ou là ses immigrants en français ou en anglais. Hypocrisie, mauvaise foi, trahison historique.

1982 est une cassure pour tous les fédéralistes de bonne foi. Ce fût le cas pour Claude Ryan, chef libéral et porte-parole du camp du NON en 1980. Le dernier grand fédéraliste du Parti libéral du Québec. Et Brian Mulroney s’est fait élire en 1984 pour corriger cette «erreur d’isoler le Québec» et le ramener dans le giron constitutionnel canadien «dans l’honneur et l’enthousiasme». On connaît la suite.

2- Et Jean Charest, indigne successeur de Ryan, fils putatif de Mulroney (il n’a gardé de lui que la corruption) est un pur produit de cet «esprit de 1982»: il contribue à affaiblir la loi 101 en faisant du français la langue des pauvres – rappelons la décision du gouvernement Charest de ne pas chercher à réaffirmer la suprématie du parlement sur les tribunaux dans le dossier des écoles passerelles qui permettent aux parents qui ont de l’argent de s’acheter le droit d’aller à l’école anglaise –  il survalorise l’enseignement de l’anglais en éducation, coupe ou détourne l’argent qui doit servir à franciser nos immigrants récents, bref, le gouvernement Charest est plus trudeauiste que Stéphane Dion en matière de protection et de promotion du français au Québec.

3- Et la grève étudiante qui se «réglera» à coup d’injonctions et de tribunaux parce que ce gouvernement aura refusé depuis le début d’écouter, de négocier ou même d’éviter une crise sociale en se réfugiant derrière un discours légaliste – code du travail, droits individuels, juste part de chacun – au mépris de la démocratie parlementaire et du nécessaire dialogue en politique.

L’esprit de 1982 traverse la gestion gouvernementale de cette grève étudiante. Ce sont les individus qui triomphent devant le droit pour des majorités cohérentes de décider de leurs orientations politiques. Les étudiants en grève sont marginalisés, folklorisés, non-reconnus et méprisés. Cette politique a pour but de les pousser à l’excès pour les délégitimer encore davantage… Ne voyez-vous pas les nombreux parallèles que l’on peut faire entre l’esprit de 1982 et la gouverne de Jean Charest?

30 ans après le «coup» de 1982, on peut dire que la pensée de Trudeau habite davantage à Québec qu’à Ottawa.