Je regardais cet excellent film de 1998 intitulé Pleasantville hier à Télé-Québec et je me disais que 2013 allait nous révéler encore une fois toute une classe de gens qui veulent à tout prix éviter que nous changions quelque peu nos comportements ou nos institutions pour les ajuster aux exigences de notre temps.
Ces gens veulent un retour vers Pleasantville, cette ville imaginaire, en noir et blanc, figée dans les années 1950, où les hommes dominent et les femmes se taisent, où l’ordre règne, où il fait toujours beau, où le gazon est toujours vert et bien tondu, où les enfants sont polis et respectent l’autorité parentale…
Bref, le retour vers Pleasantville, c’est pour ceux qui sont nostalgiques de cette époque qui représente l’âge d’or d’un capitalisme triomphant, où la consommation de masse est un mode de vie rêvé et accessible au plus grand nombre, où la perspective d’une crise économique créée par la grande finance qui exige ensuite des plans d’austérité pour nous sortir du marasme n’existe pas.
Le retour vers Pleasantville, c’est le choix de l’exécutif et des députés du Parti Québécois qui renoncent à implanter une véritable réforme du mode de scrutin pour que notre Assemblée nationale prenne les couleurs de notre société d’aujourd’hui. Ces gens, et leurs alliés en noir et blanc que sont les libéraux et la CAQ, préfèrent rester figés dans le vieux système «majoritaire» parce que celui-ci les maintient artificiellement en vie.
Le retour vers Pleasantville, c’est le choix du Parti républicain américain qui se cramponne dans une hostilité aux impôts et un culte des armes à feu complètement détachés des malaises et impasses de la société états-unienne du XXIe siècle.
Le retour vers Pleasantville, c’est tous ces bonzes de la finance qui remettent sur le marché des produits financiers «adossés à des actifs» qui en fait sont des titres de dettes de ménages surendettés. Le retour vers Pleasantville, ce sont ces mêmes ménages qui se dotent d’une autre carte de crédit pour payer la première… Le running bill s’allonge, les cossins s’accumulent, les avoirs s’empilent pendant que l’être se vide littéralement de tout son sens…
Le retour vers Pleasantville, c’est le Parti libéral du Québec (PLQ) qui pense qu’en changeant de chef, on fait l’économie d’une remise en question sur dix ans d’incurie, de mensonges et de corruption endémique. Comme si le pouvoir leur revenait de plein droit. Le retour vers Pleasantville, ce sont les amis du PLQ qui pour le moment ont le profil bas, mais qui attendent impatiemment que leurs réseaux se réactivent, pour justement retourner à Pleasantville!
Le retour vers Pleasantville, c’est aussi le Parti libéral du Canada qui croit qu’en choisissant Justin Trudeau comme chef, il retournera lui aussi à son âge d’or, à sa grandeur d’antan. Alors que fiston n’a pas l’envergure du père et que le trudeauisme craque de toutes parts… Le retour vers Pleasantville, c’est redire encore et toujours que parler du fait que la refonte constitutionnelle de 1982 au Canada s’est faite contre l’accord de tous les partis présents à l’Assemblée nationale du Québec et de tous les premiers ministres du Québec depuis ce temps, c’est parler de «vieilles affaires»…
Le retour vers Pleasantville, c’est toute la gouverne autoritaire et passéiste de Stephen Harper pour qui l’ordre, les bonnes mœurs et le mépris de la démocratie servent à nous cantonner dans cette autre époque où les changements climatiques, la crise alimentaire mondiale, l’avortement n’existaient pas. La gouverne de Harper est inscrite dans la logique manichéenne de Pleasantville: ceux qui critiquent perdent leur temps ou pire encore, doivent être réprimés parce qu’ils brisent la surface lisse de leur vision en noir et blanc où seuls les Israéliens et leurs alliés ont raison et tous les autres sont des terroristes… Le maccartisme se porte bien à Pleasantville comme à Ottawa.
Le retour vers Pleasantville, c’est ce lieu réconfortant pour tous ceux qui tremblaient à l’idée de voir un écologiste occuper le poste de ministre de l’environnement. Puisqu’ils ont eu sa peau, ils peuvent maintenant s’imaginer retourner vers cette ville où les routes tournent en rond.
Le retour vers Pleasantville, c’est l’amnésie collective qui nous guette tous – corps policiers compris – lorsqu’on tire le voile sur notre printemps 2012 qui a pourtant jeté tant de couleurs – du rouge surtout! – sur notre société ankylosée.
Alors, plutôt que de filer à toute allure vers Pleasantville sur cette route de béton construite par nos firmes d’ingénierie qui financent à coups de prête-noms les partis politiques au pouvoir, pourquoi ne pas paver de nouvelles avenues, moins larges, où les transports actifs et alternatifs pourront cohabiter, sans se faire la guerre… Pourquoi ne pas envisager une autre cité que celle en noir et blanc vers laquelle nos élites politiques, économiques et financières cherchent à nous ramener?
Même les habitants de Pleasantville nous en seraient reconnaissants.
Pleasantville… j’ai vu ça à l’horaire hier soir mais je n’ai eu le courage de le regarder de nouveau. J’ai sans doute eu peur d’y rencontrer des gens que je connais trop. Flics, politicards ringards, péquenots de tous acabits et trouillards de tout.
J’ai une sacrée impression que nous y sommes déjà revenus il y a un bon bout de temps. Un coup de cafard je suppose… Pourtant je pétais le feu durant le party estudiantin du printemps éteint. J’assistais à quelque chose de grand que je n’aurais jamais cru possible. Éberlué… j’adore être éberlué d’admiration!
Je regardai ensuite la populace ordinaire votant Harper et cauchemardant en pensant que peut-être le PQ serait majoritaire… l’idée de se séparer du Duce Charest les renversait!
La neige vint à nous, pas de révolte, les méchants communisses du Québec sont tranquilles, ça donne le temps de vendre mines et pétrole aux vrais communisses de Chine entre deux chapelets.
Pleasantville… tout le monde descend…