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Encadrer et reconnaître la démocratie étudiante

Les affrontements entre policiers et manifestants au cœur de l’UQÀM me poussent à réaffirmer la nécessité d’encadrer oui, mais surtout de reconnaître les votes et décisions prises par les assemblées générales étudiantes. Cette nécessité mettrait fin à l’absurdité d’une présence policière dans les murs de l’université – temple de la discussion rationnelle – tout en favorisant l’adoption par les différentes associations étudiantes, de statuts et règlements balisant la tenue des votes de grèves.

La position du ministre de l’éducation, François Blais, qui est aussi celle du gouvernement libéral depuis Jean Charest, est une véritable fuite en avant. Il est faux de prétendre que les associations étudiantes n’ont pas le droit de grève. Il est aussi faux de croire qu’elles en ont un. Le flou juridique autour du droit de grève des étudiants perdure. Mais la pratique jusqu’à 2012 aura été de permettre aux étudiants de faire grève. En 2012, le gouvernement Charest a décidé de changer ce «gentleman’s agreement» en considérant que les votes de grève des étudiants étaient en fait des boycotts… Et des injonctions ont été accordées à partir de cette interprétation. Le gouvernement Couillard poursuit cette logique de l’affrontement malgré un jugement récent de la Cour supérieure qui reconnaît le monopole de représentation des associations étudiantes. Or, si les assos étudiantes représentent les étudiants, à quoi sert-il de faire des assemblées générales si les décisions prises lors de ces assemblées n’engagent pas la collectivité qu’elles représentent? Et si comme le disent les libéraux, les étudiants ont le droit de se prononcer pour la grève, mais qu’ils ne peuvent empêcher les autres étudiants de mêmes facultés d’assister à leurs cours, on comprend bien l’incongruité de cette position. D’autant plus que les libéraux disent qu’ils ne payeront pas les coûts relatifs à la reprise des cours… On comprend donc pourquoi ceux et celles qui votent la grève décident alors de se cagouler et cherchent à bloquer les portes des cours de leurs facultés en grève…

La position du gouvernement, comme celle défendue par le recteur Proulx de l’UQÀM, qui a demandé une injonction pour empêcher les étudiants grévistes de bloquer les portes des salles de classe, mène directement à l’affrontement et aux dérives que nous avons vus ces derniers jours.

Mais des dérives, il y en a aussi eu du côté des grévistes! Ceux et celles qui ont cherché à bloquer les portes de l’université ont exagéré: leurs votes de grève ne s’appliquaient pas à toute l’université. Ceux et celles qui ont empêché la tenue de cours dans des facultés qui n’avaient pas de mandats de grève sont allés trop loin. Ceux et celles qui ont brisé du matériel dans l’université nuisent à la crédibilité du mouvement de grève. Et les assemblées générales étudiantes qui adoptent des procédures douteuses pour obtenir gain de cause en pratiquant une sorte de guerre d’usure sont aussi à blâmer (il semble que les AG au Cégep du Vieux-Montréal soient particulièrement malsaines…).

On voit donc que l’atmosphère générale autour de ce printemps est à déplorer. Mais je tiens à réaffirmer que dans la distribution des blâmes, il n’y a pas de symétrie. Entre une violence étudiante dirigée contre des machines distributrices et une violence policière pratiquée systématiquement contre des personnes, la deuxième est beaucoup plus grave et dangereuse. Il importe donc de ramener les choses à leurs justes proportions.

Renforçons le caractère véritablement démocratique des assemblées générales étudiantes ET mettons fin à la répression contre cette jeunesse qui se lève et que l’on cherche par tous les moyens d’étouffer.

Histoire de démontrer qu’il n’y a pas que des gauchistes immatures qui pensent comme moi, il est peut-être à propos de rappeler que l’ex-chef libéral Claude Ryan était favorable à ce que les associations étudiantes aient le droit de poursuivre toute fin que « ses membres veulent démocratiquement lui donner » de manière à fermer « la porte à des injonctions et à des contestations de toutes sortes qui mettront bien plus de désordre et d’instabilité qu’elles n’apporteront de solutions » (*). Ce n’est pas la première fois que j’ai la nostalgie de Claude Ryan

Il faudrait donc que le gouvernement libéral à Québec lise le rapport déposé par Serge Ménard et que ses ministres renoncent à cette fuite en avant qui ne mène qu’à l’affrontement. Les institutions d’enseignement devraient mettre en place localement des protocoles d’entente avec les associations étudiantes qui assurent qu’une fois une décision prise par les étudiants, lors d’assemblées générales ouvertes à tous et permettant un vote secret, l’institution s’engage à respecter cette décision.

Des points de vue juridiques éclairés militent en ce sens. Encadrer de manière minimale la démocratie étudiante, c’est la seule solution qui évite les dérapages multiples que nous avons observé ces derniers jours… La démocratie étudiante se joue à échelle humaine. Elle pourrait être, comme c’est toujours le cas dans plusieurs assemblées étudiantes d’institutions collégiales et universitaires, un véritable chantier d’éducation civique où la délibération collective se fait dans le respect et où les décisions prises sont respectées. En encadrant la démocratie étudiante pour qu’elle soit transparente et qu’elle permette à tous d’exprimer son point de vue, ceux et celles qui utilisent actuellement les tribunaux pour s’extraire du débat et ainsi faire valoir leur droit individuel d’assister à leurs cours n’auront plus d’arguments pour ne pas participer à l’AG de leur faculté ou institution.

Dans toute cette dérive que nous avons constaté avec tristesse, je ne vois pas d’autres solutions que d’encadrer et de reconnaître la démocratie étudiante.