Conflit étudiant : Nous sommes des pelleteux de nuage
Je pense que

Conflit étudiant : Nous sommes des pelleteux de nuage

Tandis que les manifestations en lien avec la hausse des droits de scolarité se multiplient partout au Québec et que de nombreux cas de brutalité policière ont été observés et dénoncés, le poète et slameur Ivy nous a fait parvenir un poème qu’il dédit à Gabriel Duchesneau.

J’aurais tant à dire la rage devant le matraquage, les fractures, les blessures au corps et au cœur. J’aurais tellement le goût de sombrer à mon tour dans le creuset des argumentations parcellaires. La violence n’est pas dans les vitres brisées : elle explose au grand jour de notre État par la mascarade de ses agents de la paix. J’ai honte. Moi qui pour tout parti n’ai que celui de la parole, de la vie surprenante, sans bornes, hors des sentiers battus, je voudrais offrir ce poème à Gabriel Duchesneau qui se remet lentement des 5 fractures du crâne récoltées le 1er mai et à tous ceux et celles qui ont reçu coups, blessures et menaces de la part des forces de l’ordre depuis le début des manifestations étudiantes. Enfin et surtout à certains « chroniqueurs » dont je tairai le nom et qui ont taxé les artistes qui soutiennent les étudiants de pelleteux de nuages.

Ivy, poète-slameur et ACI

 

Nous sommes des pelleteux de nuage[1]

 

Nous n’aimons pas ce qui fait ombrage
Aux fragiles fleurs assoiffées de soleil

Nous, nous dégotons la chair entre les jambes de l’été
Et rien ne nous fait plus plaisir
Que de soulever
Sa jupe

Quels parfums
Quelles délices
Si vous pouviez les sentir un moment
Mesdames Messieurs les bien-pensants

Aux néons blafards de vos bureaux
Nous préférons les tons marron
Et les vers
Dans la Terre libre

À la peur et ses griffes
Aux dents qui claquent
Et à la peine cotée en bourse
Nous ouvrons les bras
Et nous vous conduisons
Dans le sauna
De l’imaginaire

Suez nous
Couper dans le gras
Et retrouver la ligne
Sinueuse
Du désir
Oui

Souffrez de nous suivre
Car voyez-vous
Nous les pelleteux de nuage
Les grand’ têtes dans la lune
Nous fuyons l’intelligence
Autant que la pensée commune
Nous n’avons ni jugeotte, ni même d’esprit pour en faire l’étalage
Vous l’avez dit : nous sommes occupés à pelleter des nuages
Alors, vos principes, vos idées
Et ce que pense le vrai monde…

Le vrai monde
Avec sa grisaille presque opaque
Ce n’est pas nous
Nous, nous sommes FO, phosphorescents
Incandescents d’indécence
Lorsque nous sentons venir la fin
Au point du jour
Quand le vin manque
Et les amis s’en vont

C’est dans la nuit que nous brillons
Sous les projecteurs
Nous jactons
Hors de nous ce qui nous tient à cœur
Nous vidons notre âme
Comme d’autres leur vessie
Et tant pis si les mots pissent à flots
Comme la bière
Sous la pression de la foule montante
Qui nous fait écho

Nous ne sommes pas les vecteurs de la distraction
Au contraire le feu vivant nous le communiquons
Du moins nous essayons
Par passion par envie de vivre la vie dont nous rêvions
Enfants lorsque la parole nous prenait
Comme une quinte de toux
Lorsque nous ne prenions pas tant de détours
Pour crier notre dégoût
Et conclure notre amour
Par un serment
Dans vos courbes et vos calculs
Vos diagrammes et vos projets
Où sont les fous, les amoureux
Les magiciens et les danseurs ?
Dans votre gestion du monde
Existe-t-il une place
Que votre vertu n’ait pas contaminée?
Nous n’avons pas besoin de vos illusions
Notre addiction, c’est la diction
Nos traditions, la déraison
Arpenteurs de la réalité
Nous désapprenons à vivre
Chaque jour
Les mensonges de votre éducation

Nous ne voulons pas changer le monde
Nous vous le laissons
Nous vous l’avons toujours laissé
Nous
Nous voulons en créer un autre
A l’image de notre espoir
Et de notre foi en nos enfants

Mesdames, Messieurs les bien-pansus
Nous sommes des pelleteux de nuages
La chose est entendue
C’est toujours bien mieux que de pelleter d’la marde.

Montréal, 3 mai 2012



[1] Ce poème est un « slam ». Il est fait pour être entendu.