Peuple noir, peuple québécois, des identités plurielles
Je pense que

Peuple noir, peuple québécois, des identités plurielles

Le Mois de l’histoire des noirs s’est achevé et un tourbillon de questions ne cesse de me tourmenter. Pourquoi les personnalités de la communauté noire francophone gardent en majorité le silence sur la question du « Blackface »? Pourquoi je ne me sens pas la légitimité pour m’exprimer sur cet enjeu? Le teint de ma peau empêche-t-il que l’on reconnaisse mon appartenance au peuple noir?

Du premier regard, personne ne devine mes origines. «Tu viens d’où? », la question fuse immanquablement.

Je suis née ici et j’y ai vécu toute ma vie. Mon père fut le premier éditeur des Belles Sœurs de Michel Tremblay. C’était un fier ambassadeur de la littérature québécoise à travers la francophonie. Ma mère, arrivée de son Haïti natale il y a plus de cinquante ans, est un modèle d’intégration. C’est le genre d’ « invitée » que les « hôtes » comme Mathieu Bock-Côté sont prêts à accepter en petit nombre.

J’ai tous les droits de me dire québécoise : la naissance, le sang (au moins à moitié!), la résidence, et même la langue! Pourtant, j’ose difficilement le faire parce que l’accent indéfinissable avec lequel je parle semble me disqualifier dès que j’ouvre la bouche. C’est qu’avant même que François Legault pense à imposer un inspecteur des « valeurs québécoises », le désir d’un « Québec homogène », candidement avoué par Stéphane Bédard, imprégnait la politique identitaire québécoise.

Le débat sur la « Charte des valeurs » avait fait ressurgir en moi les mauvais souvenirs d’une adolescence où la solitude fut le prix à payer pour ne pas rentrer dans le moule, montrer les signes « ostentatoires » de ma différence. S’il y a une valeur contre laquelle je me rebiffe, c’est bien l’homogénéité.

De quel droit des idéologues identitaires pourraient-il décider de mon appartenance au peuple québécois? Ils ne se gênent pourtant pas pour prendre en otage l’identité québécoise et désapproprier de nombreux Québécois de leur propre conception d’eux-mêmes, car ils possèdent une caractéristique jugée indésirable (par exemple, être anglophone, pratiquer la religion musulmane, être un « ethnique » fédéraliste).

Selon moi, le fait de peindre en noir la peau d’un Blanc pour qu’il représente Boucar Diouf ou P.K. Subban procède de cette même vision réductrice de l’identité d’autrui. L’emphase mise sur la couleur de la peau, en faisant abstraction des autres caractéristiques d’un individu, lui envoie le message subtil de sa position minoritaire et donc vulnérable.

La démonstration de la discrimination envers les Noirs sur le marché du travail n’est plus à faire. Le secteur des arts et de la culture ne fait pas exception. Comment donc s’étonner que les premiers intéressés – les artistes noirs de la scène – n’osent pas, pour la plupart, s’offusquer publiquement de la pratique du Blackface, au risque d’être tenus encore plus à l’écart par les institutions? La menace est bien réelle au vu de la déclaration de Denise Filiatrault qui a répondu à la polémique entourant le Rideau Vert qu’elle n’engagerait tout simplement plus d’acteurs noirs!

Le Québec est une société distincte à bien des égards, mais pas en ce qui concerne le profond mépris avec lequel les Noirs y ont été traités, tant par les francophones que les anglophones. Argumenter les différences culturelles entre les francophones et les anglophones n’est donc qu’une tentative de tout ramener vers les enjeux identitaires chers à la majorité, en oblitérant la perspective de la minorité noire, dont les ancêtres esclaves – ne l’oublions pas – se sont vu imposer les langues de leurs propriétaires : le français et l’anglais.

Aujourd’hui encore, les réactions des majorités québécoises et canadiennes à l’égard de leurs minorités offrent plus de similarités que de différences. Elles se montrent tout aussi sensibles l’une que l’autre à la manipulation politique des enjeux de sécurité qui sont associés aux communautés musulmanes, comme le démontre le soutien populaire au projet de Loi antiterroriste C-51. L’insécurité identitaire est un terreau fertile à l’intolérance sur lequel trop de politiciens cherchent à récolter des victoires qui autrement leur échapperaient. Au-delà de la victimisation d’un groupe précis, c’est l’approche de la majorité envers l’ensemble des minorités qui est en train de se détériorer.

L’actualité ne cesse de nous offrir des exemples désolants de la polarisation des différents segments de la population autour des enjeux identitaires. Le Mois de l’Histoire des Noirs fait un léger contrepoids en soulignant l’apport de multiples personnalités noires à l’édification globale de la société. Toutefois, beaucoup de chemin reste à faire avant que la couleur de la peau cesse de faire une différence. Quelques chapitres sur la discrimination subie ici par les minorités ethniques et religieuses dans le cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté me semblent le passage obligé vers un nouveau vivre-ensemble. Un rapprochement passe par la réalisation des facettes multiples de notre identité collective en tant que société québécoise.

Me Marie-Hélène Dubé est avocate et médiatrice familiale au sein du cabinet Goldwater, Dubé.