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Le réflexe autoritaire

Hier, j’avançais que de présenter une loi spéciale pour mettre fin à un grève étudiante serait une grave erreur de la part du gouvernement Charest. Plus tard, après lecture du projet de loi 78, ce constat semblait tout à coup trop timide.

Pour lire le projet de loi, c’est ici. Pour ses grandes lignes, c’est ici.

Je ne reviendrai pas sur le détail de tout ce qui en a été déjà dit depuis hier soir, autre que ceci: le projet de loi 78 est une offensive majeure contre la liberté d’expression, d’association, de conscience et de manifestation. Bref, c’est une attaque contre les libertés fondamentales des Québécois.

C’est précisément pour cette raison que la Loi 78 risque fort de mettre encore plus à mal la «paix sociale» que le gouvernement prétend vouloir protéger avec sa loi spéciale.

Et lorsque les pouvoirs politiques s’en prennent directement à la liberté d’expression, les médias, tout comme la société civile, en sont tout aussi directement interpelés.

Les vrais «gagnants» de ce projet de loi: les forces policières. Mais aussi, ces gouvernants qui, de toute évidence, craignent de plus en plus la contestation ouverte qui monte contre eux jusque dans la rue. Surtout, le gouvernement Charest, lequel vient de limiter sévèrement la liberté de manifester jusqu’en août 2013 – ce qui s’appliquera en pleine campagne électorale. Un geste digne d’un régime bananier.

C’est précisément pour cela qu’une fois adoptée, cette loi sera contestée devant les tribunaux et qu’en toute probabilité, elle y tombera. Ce qui, par contre, pourrait prendre des années.

Rappelons qu’en 1969, alors que le FLQ était en activité, le maire de Montréal, Jean Drapeau, avait tenté quelque chose de semblable en interdisant les manifs pendant un mois, à l’occasion de la Coupe Grey.

La constitutionnalité du règlement fut contesté par la suite avec succès devant les tribunaux. Un des avocats d’un plaignant à l’époque est aujourd’hui juge à la Cour suprême.

Bref, nonobstant ce détail de l’Histoire, le projet de loi 78, une fois adopté, et même avec amendements, vit dans les faits sur du temps emprunté.

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Un projet de loi antidémocratique

Le projet de loi 78 s’attaque principalement à la liberté d’expression, d’association, de manifestation, aux associations étudiantes, à leurs représentants, leurs membres ainsi qu’aux syndicats.

Avec des amendes allant de 7 000$ à 125 000$ selon les catrégories de «fautifs» visés – et doublées en cas de «récidive» -, il contient des dispositions aptes à les handicaper financièrement de manière très importante.

Entre autres moyens, il donne aussi au ministre, dans certaines circonstances, le pouvoir d’ordonner à un établissement d’enseignement de cesser de percevoir la cotisation fixée par une association étudiante

Dans sa version initiale, il s’attaque aussi à tout le monde par son article 29 – une véritable matraque sociale. Quiconque, y lit-on dans sa version initiale, par un acte ou une OMISSION, aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi commet LUI-MÊME cette infraction et est passible de l’amende prévue à la loi. (Cette section serait amendée).

Le projet de loi suspend même le Code de procédure civile pour certaines circonstances; fait fi du principe fondamental de la présomption d’innocence; ne respecte pas le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Et ce ne sont là que quelques uns des éléments inquiétants du projet de loi 78.

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Le coeur du problème

Au coeur de ce projet – présenté faussement comme «permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent», se trouvent des dispositions autoritaires visant à limiter de manière importante le droit de manifester.

Son art. 16 édicte qu’une «personne, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation de dix personnes ou plus qui se tiendra dans un lieu accessible au public doit, au moins huit heures avant le début de celle-ci, fournir par écrit au corps de police desservant le territoire où la manifestation aura lieu les renseignements suivants: 1) date, heure, durée, lieu et itinéraire; 2) moyens de transport utilisés.

(Sous pression à l’Assemblée nationale, puis avec la collaboration ouverte de la CAQ, la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, a offert, puis accepté, quelques amendements. Un portant de 10 à 25, puis à 50, le nombre de personnes constituant une manif visée par cette loi. Ce qui ne changeait absolument rien au problème de base.)

Et ce n’est pas tout: «le corps de police desservant le territoire où la manifestation doit avoir lieu peut, avant sa tenue et aux fins de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité, ordonner un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire projeté; l’organisateur doit s’y conformer et en aviser les participants.» (Un amendement ajoute la condition de «risques graves». Ce qui ne change pas grand-chose, encor une fois, sur le fond.)

Cet article limite de manière outrancière la liberté d’expression et de manifestation.

Et il le fait en accordant aux corps policiers des pouvoirs de contrôle sans précédent sur les citoyens et tout groupe, syndicat ou association désirant organiser une manifestation ou y participer.

Cet article tient du réflexe autoritaire. Point.

Ce vendredi, le même, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, interdisait le porte du masque dans les manifestations. Ce que le gouvernement ultraconservateur de Stephen Harper a également l’intention de faire.

Un autre réflexe autoritaire.

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Des forces policières aux pouvoirs démesurés

Avec de tels gestes posés, le conflit étudiant aura été un puissant révélateur de la vraie nature de ceux qui gouvernent le Québec et sa métrople.

Des gouvernants qui, mis face à un mouvement social qui ose les contester, eux et leur gestion, n’hésitent pas à avoir recours à la répression policière de même qu’à limiter carrément les libertés fondamentales.

Et ce réflexe autoritaire, répressif, à la lecture du projet de loi 78 initial, de même qu’à l’interdiction du port du masque à Montréal, il se matérialise avant tout par un élargissement considérable des pouvoirs accordés aux forces policières.

Pendant son étude à l’Assemblée nationale, on aura d’ailleurs entendu Michelle Courchesne s’en remettre à plusieurs reprises aux «décisions» et «bon jugement» des policiers!

Dans ce triste théâtre de l’absurde, questionnée sur le sujet, la ministre est même allée jusqu’à avancer que la police pourrait aller jusqu’à débusquer des organisateurs de manifs sur twitter! Les courriels seront-ils les prochains à être visés?

Même chose pour le pathétique maire de Montréal, lequel, déclarait en point de presse: «j‘ai confiance dans la policière et le policier qui seront appelés à apprendre les décisions» quant à où, quand, comment et pourquoi le port d’un masque pourrait être ou non «toléré».

Et le maire d’ajouter que ce nouveau règlement «ne vise pas les événements festifs et légitimes».

«Légitimes»? Mais qui peut juger de ce qui est ou non «légitime»? Les pouvoirs politiques seraient-ils aussi tentés de confondre légitimité et légalité pour mieux limiter les droits des citoyens?

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Un consensus contre la loi spéciale

Voyant que le gouvernement s’est servi du prétexte de la grève étudiante pour tenter de limiter les libertés civiles, un consensus rapide s’est formé contre le projet de loi 78.

Aux partis d’opposition (hormis la CAQ), on a vu les leaders syndicaux qualifier ce document de «loi de mononcles impuissants contre une génération qui va finir par les bouter dehors!».

On a vu le Barreau du Québec estimer que «ce projet de loi, s’il est adopté, porte des atteintes aux droits constitutionnels et fondamentaux des citoyens. L’ampleur de ces limitations aux libertés fondamentales n’est pas justifiée pour atteindre les objectifs visés par le gouvernement».

Et son bâtonnier d’ajouter que «plusieurs dispositions du projet de loi portent atteinte au principe de la primauté du droit, laquelle exige, dans un effort de proportionnalité, que l’on n’écarte les règles du droit commun qu’en présence d’une justification convaincante. Je crains toutefois que ce projet de loi ne permette pas d’atteindre ces objectifs et porte atteinte à nos droits fondamentaux».

On a vu un «important groupe d’historiens du Québec» dénoncer le projet de loi en ces mots: «rarement a-t-on vu une agression aussi flagrante être commise contre les droits fondamentaux qui ont sous-tendu l’action sociale et politique depuis des décennies au Québec».

On a vu le député de Québec solidaire, Amir Khadir, appeler la société civile à réfléchir ensemble à la possibilité de ne pas obéir à cette loi «injuste» et aux avocats et juristes, de la contester devant les tribunaux.

On a même vu Amnistie internationale s’opposer au projet de loi 78.

Etc, etc, etc…

Bref, plus les heures passent, plus on prend la pleine mesure du danger que constituent ces mesures pour les libertés civiles que l’on avait bien tort de prendre pour acquises…

On savait déjà que le premier ministre du Québec venait du sérail conservateur. Cette semaine, il s’est montré sous un jour qui verse plutôt dans l’ultraconservatisme.

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@ Illustration par permission de l’artiste Clément de Gaulejac. Pour voir ses autres oeuvres illustrant la grève étudiante, voir ici sur son site web.