BloguesJulien Day

La Paulinophobie

Si vous avez été moindrement présent sur les réseaux sociaux durant le weekend, vous avez fort probablement vu passer ce billet de blogue¹ annonçant en primeur l’interdiction par le gouvernement provincial des quiz télévisés « considérés abrutissants ».

Étant donné que mon humble personne, entre autres, a fondé et gère toujours le blogue ayant publié cette fausse nouvelle, l’Axe du MAD, je me suis retrouvé aux premières loges pour constater l’ampleur de la cyber-dérape que la publication du canular, bien qu’on n’aurait osé l’appeler ainsi au départ, a engendrée.

Croyez-moi, je vous dis cela parce que j’ai le nombre de consultations du billet et tous les commentaires laissés en marge de celui-ci devant le nez, on parle bel et bien ici d’une cyber-dérape. Trois jours plus tard, statistiquement parlant, le buzz entourant ledit billet est encore loin de s’être évaporé, et les commentaires de gens convaincus d’avoir à faire à une vraie annonce du gouvernement Marois continuent de s’empiler à un rythme affolant.

Je n’écris pas ce qui suit dans le but de taper le clou de la consternation. Bien que frappant, cet événement n’a rien de surprenant à proprement dire. Des gens qui ne veulent ou ne peuvent pas lire convenablement, il y en a probablement quasi-exactement autant que de gens prêts à gober à peu près n’importe quoi, et la fausse nouvelle de ma collègue Jackie, c’était exactement ça: n’importe quoi. Évidemment n’importe quoi, même, c’en était grossier.

En fait, dans ce tumultueux déferlement de connerie, quelque chose m’a encore plus frappé, et à certains égards attristé: mon Dieu que vous ne l’aimez pas, Pauline Marois. Ou devrais-je dire « la Pauline » ou « la Marois » ?

Ne vous y méprenez pas, j’aime Pauline à peu près autant que j’aime les autres ténors de la politique électorale, en l’occurrence entre très peu et pas du tout. Par contre, contrairement à des centaines de personnes que j’ai vues perdre les pédales dans les trois derniers jours, je ne la tiens pas personnellement responsable de tous les maux politiques de notre époque, de la libération de Guy Turcotte ou de la faillite de Nortel. J’exagère à peine.

C’en est caricatural. Pauline Marois, chef du Parti Québécois, véritable institution dans le paysage politique québécois, est la cause de tous les problèmes. Pauline Marois n’est pas chef du PQ, Pauline Marois est le PQ.

Évidemment,  les chefs ont habituellement tendance, avec raison, à manger le gros de la mornifle lorsque le parti qu’ils dirigent déplaît aux citoyens, peu importe le motif. Dans le cas de Pauline Marois, c’en est violent. Jean Charest, pendant son long règne de premier ministre aura lui aussi soulevé les passions et servi ad nauseam de défouloir, au point de devenir lui aussi une tête de turc.

Mais depuis le début du règne fragile de la première ministre, au risque de me tromper, la haine qu’elle inspire chez ses plus grands détracteurs a un petit quelque chose de plus virulent, de plus viscéral, et elle a quelque chose de moins politique, de moins cohérent que tout ce que j’ai pu observer sur la scène politique québécoise lors des dernières années.

Pauline Marois n’est pas chef du PQ, Pauline Marois est le PQ.

Malgré une gouvernance et des politiques beaucoup plus à droite que l’avènement socialiste prédit par plusieurs ténors de la droite grossière, « la Pauline » est en train de détruire le Québec avec des politiques économiques néfastes, clame-t-on, politiques économiques pourtant très similaires à celles des libéraux précédemment.

Alors, qu’est-ce qui explique les commentaires aussi durs que dépourvus de cohérence politique que j’ai vus déferler ces derniers jours ? La diabolisation systématique du PQ par certains puissants éléments de la faune médiatique ? Les positions souverainistes du PQ, ou pas assez souverainistes pour certains ? Le fait qu’elle soit une femme ? Après tout, peut-être resterait-il un bon fond de sexisme au Québec ?

Je vais lancer une hypothèse, qui n’explique bien évidemment pas à elle seule le phénomène, mais qui est très certainement concevable: pour ceux tristement familiers et adeptes de l’expression, « la Pauline », c’est l’incarnation du « gouvernemaman », thème et expression saugrenus de la droite-bouffon, au Québec. Pauline est riche, elle est « social-démocrate », elle est au Parti Québécois qui a la réputation plus ou moins justifiée d’être le plus à gauche des partis aspirant sérieusement au pouvoir, elle crache impunément sur l’argent des honnêtes travailleurs de l’Alberta mais l’accepte quand même, ça et tous les autres clichés.

Et en plus, c’est une femme. Une madame. C’est « la Marois », contrairement à ses prédécesseurs, qui se passaient de déterminant.

Bien sûr, il y a une analyse beaucoup plus profonde à faire en ce qui a trait à la personnification du politique, phénomène dérangeant s’il en est un, mais je crois qu’on a ici une fraction d’explication à la violence des propos qu’il n’est pas rare, encore moins lorsque certains pensent que le gouvernement interdira les quiz télévisés, d’entendre au sujet de la Première Ministre.

Pour que je me désole du traitement réservé à un politicien, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche avec le contenu bien plus qu’avec le contenant, et les attaques répétées de certains dénigreurs de Pauline Marois, une simple visite sur les pages Facebook destinées à l’haïr vous en convaincra, sont dangereusement empreintes de haine et dépourvues de cohérence politique.

Et ça, qu’on l’aime ou non, « la Marois », c’est désolant.

 

1 : http://axedumad.com/2013/05/18/le-gouvernement-du-quebec-interdit-les-quiz-televises-consideres-abrutissants/