BloguesJulien Day

Un foulard pure laine et le fond du baril médiatique

La bêtise niveau 1

À l’heure qu’il est, l’histoire, on la connait tous. Ce matin, une dame entre dans le métro Fabre, elle emprunte les escaliers roulants que des dizaines de milliers d’usagers utilisent chaque jour. Le drame survient : une extrémité d’un morceau de linge qu’elle porte, selon toute logique et vraisemblance un foulard, se coince dans l’engrenage.

Une scène d’horreur que plusieurs traînaient dans leur imaginaire à la manière d’une légende urbaine. Une mort horrible.

Le cirque médiatique s’emballe alors. Rumeurs d’une mort insolite dans la salle de presse, on prend nos calepins, nos caméras et vite à la bat-cave. Premiers sur la nouvelle, c’est le slogan après tout.

C’est tellement habituel que ces réflexes, on ne les questionne même plus, ou très peu. Autant chez le consommateur que chez le journaliste. Qu’y a-t-il à tirer de cette triste et bête mort? Rien, niet, nada, que dalle. Mais hey, étranglé par un foulard pris dans l’escalier roulant, c’est de l’or médiatique, on fonce.

Si on oublie l’aspect sensationnel, on fait rapidement le tour de ce genre de nouvelles. Une fille est morte coincée entre deux wagons de métro parce qu’elle était trop absorbée par son téléphone mobile? Les enfants, soyez attentifs quand vous textez.

Voilà, on wrap ça. On passe aux nouvelles des sports.

La bêtise niveau 2

Chez Québecor, semblerait-il que nous n’étions pas tout à fait prêts à lâcher le morceau. D’abord à LCN, puis sur le site du Journal de Montréal, puis sur Sun News, on y va d’une précision : le foulard, c’était un hijab. Le cossin dont tous nos chroniqueurs (et à peu près tout le monde) vous parlent sans relâche depuis quelques mois. Le cossin qu’on met en une accompagné d’un titre apocalyptique assez régulièrement, ou en page 6 accompagné de quelques liens avec le Klu Klux Klan.

Là, ça se corse. Dans le contexte actuel, on peut se questionner à savoir si dans ce show de boucane dont la pertinence peut être remise en question, le fait qu’on fasse la distinction entre le hijab et le foulard pure laine est souhaitable, considérant les débats houleux auxquels nous assistons depuis quelques temps, mais surtout considérant que peu importe qu’il soit pure laine ou musulman, l’escalier roulant et la mort ne font pas de distinction, eux.

Trop tard, les lecteurs se déchaînent déjà dans les sections des commentaires des sites qui rapportent la nouvelle : « Peut-être que certains comprendront que le voile, tu le portes chez vous, pas ailleurs » et autres variantes tout aussi respectueuses à l’endroit de la défunte.

La question devient de plus en plus pertinente, elle : était-ce nécessaire?

La bêtise niveau 3

Alors qu’on questionne toujours la pertinence de tout cela, le Journal de Montréal et ses chefs de pupitre ne chôment pas, la vedette des nouvelles est mise en évidence sur le site web avec un titre à faire rougir les poètes : ÉTRANGLÉE PAR SON HIJAB.

Mais ce n’est pas fini. On la place où la nouvelle? Dans les « faits divers » évidemment. On met quoi comme court titre? Pourquoi pas ESCALIERS ROULANTS / HIJAB?

Ben’ ouais.

Bien sûr, les réseaux sociaux s’enflamment. Si ça c’est pas sournoisement crisser de l’huile sur le feu d’un débat qui brûle déjà dangereusement, je ne sais pas c’est quoi.

La bêtise niveau 4

Pendant que les plus débiles des débiles expliquent à tous la pertinence de la précision du Journal de Montréal en nous rappelant les dangers physiques, cette fois, du port du hijab, d’autres journalistes continuent leur recherche. Ce qui devait arriver arriva : en début de soirée, des journalistes affirment que la dame décédée ne portait pas un hijab de méchante intégriste, mais bien un foulard de gentille pure laine, du moins rien n’est confirmé. Le Journal de Montréal retire en douce leurs articles chocs et on est de retour à la case départ : un triste et insolite accident sur lequel il n’y a rien à dire.

Aujourd’hui, des musulmans auront eu à se taper les commentaires les plus hargneux, violents et stupides des habitués du bashing de musulmans. Pourquoi?

Parce qu’une pauvre femme qui portait un foulard, pure laine ou pas, a été victime d’un triste accident. À cause d’un terriblement triste fait divers. Et cette pauvre femme qui n’a rien demandé, au lieu de reposer en paix, aura servi le temps d’un après-midi d’argument pour débiles profonds.

Quel gâchis. Bravo.

Correction: contrairement à ce qui est mentionné plus haut, les articles du JDM mentionnant le hijab sont toujours en ligne.

L’identité de la victime a aussi été confirmée.