Luc Chartrand : Code Bezhentzi
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Luc Chartrand : Code Bezhentzi

Ce n’est surtout pas par chauvinisme que je vais louanger la première brique que lance le journaliste Luc Chartrand sur les terres presque jamais défrichées de la littérature d’espionnage québécoise d’envergure internationale. Tout en étant profondément enraciné dans notre réalité régionale, qui se cherche entre hier et demain sans comprendre ce qui se passe aujourd’hui, le récit que nous tricote serré le reporter du magazine L’actualité nous rappelle que le chemin le plus court qui nous mène au Village global est davantage un labyrinthe tortueux qu’une rue principale sans détour.

J’ai envie de vous énumérer une liste presque infinie de signaux pour vous forcer à enfourcher ce roman qui accumule les émotions fortes de l’aventure, sans qu’on quitte le confort de notre fauteuil: vengeance, nationalisme, extr?ême droite, racisme, dévotion, hypocrisie, pédophilie, sensualité, trahison, ambiguïté, accomplissement, dépassement… Je sais, c’est encore trop flou. C’est fait exprès. Les espions du dimanche n’obtiennent jamais rien tout cuit dans la bouche.

En trame de fond, une hypothèse pour expliquer notre distante incompréhension de la crise politique qui a secoué l’Afrique du Sud, où ce n’est pas tant le racisme inhérent à l’apartheid en noir et blanc qui justifie la violence déchirant Zoulous et supporters de l’ANC de Mandela. C’est sous la surface de la terre que se joue le destin. Et c’est là que se cache le carburant de la richesse: les diamants. \?«C’est parce que le diamant symbolise la beauté pure. Et cette beauté, c’est l’absence: inodore, incolore. Le diamant n’est rien et pourtant c’est ce que nous considérons comme notre avoir le plus précieux. Cela nous en dit long sur l’homme et sa quê?te d’absolu.?»

Et Chartrand nous en dit plus que le client n’en demande, sans pour autant trop nous gaver de leçons moralisatrices, mê?me si les règles du genre exigent qu’un peu de guimauve enrobe la crudité de la démence. Sans toutefois jamais s’embourber, tellement le rythme haletant des très brefs chapitres palpite, comme si la Terre était une toupie en folie. Malgré quelques marques de reprisage qui dissimulent mal la blancheur du fil, ce roman a l’étoffe des divertissements inquiétants et éducatifs. On a envie que nos amis le lisent, juste pour en parler, comme on discute des développements d’une affaire qui s’incruste dans la réalité de l’actualité. Un gros bijou mal dégrossi qui cache sa pierre précieuse. Libre Expression, 1998, 582 p.