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Corrigez-moi si je me trompe : La conspiration des imbéciles

Bienvenue en 2010. Pas celui de L’Odyssée de l’espace, mais bien celui, moins planant, de Corrigez-moi si je me trompe. Oubliez les périples intergalactiques: Olivier Todd plante son décor en ex-Yougoslavie, sur les ruines encore fumantes d’un coin du monde qui n’en finit pas d’éclater. Derrière ce titre gentiment prétentieux, se trame une comédie humaine tantôt drolatique, tantôt gênante. Gênante comme l’écho cent fois répété du tohu-bohu qui a démoli les Balkans. Les noms des villes et des républiques ont beau être fictifs, on reconnaît vite, derrière la Maniakie, cette pauvre Bosnie. Tout comme la Phrénie, dont l’avenir est en forme de cul-de-sac, évoque aussitôt la Serbie.

Dans un hôtel de Newo (lire Sarajevo) a lieu un congrès de la plus haute importance. Toute la faune diplomatique et intellectuelle s’y pavane, pavoise et discute, entre deux canapés, des mesures à prendre pour sauver ces territoires encore et toujours malmenés par la guerre. Bien entendu, les lieux grouillent de journalistes. La CBB, la CZZ et autres chaînes de télé internationales s’y disputent les informations privilégiées comme une poignée de grains dans une basse-cour. Autres temps autres mours?

Le personnage pivot de l’histoire est Ubaldo Di Ricci, un prêtre nouveau genre, pour qui la fin justifie certains moyens. Sous le couvert d’une opération humanitaire, cet homme d’église entretient des liens étroits avec les grands de ce monde et change de point de vue comme de soutane (qu’il porte rose, verte ou blanche, selon l’occasion). Toujours au cour des démêlés diplomatiques les plus tordus, cet espion double (peut-être triple) est un mégalomane au grand cour, un brillant filou dont on ne sait pas si l’on doit s’y attacher ou s’en méfier.

Entre autres fréquentations, Di Ricci a ses entrées à l’ONU. A cette époque, le secrétaire général des Nations unies est un inquiétant personnage nommé Toya Tomashi. Très sûr de lui comme de ses conceptions historiques, Tomashi a élaboré la théorie dite «du Cratère»: «Socle de la politique onusienne, la théorie du Cratère du docteur Tomashi le démontre, il faut qu’il existe à tout moment, métaphoriquement, matériellement et métaphysiquement parlant, un cratère sans obturation. Les oppositions et les haines, laves souterraines, peuvent ainsi s’évacuer.»

Le «cratère» désigné, en ce début de millénaire, c’est Newo, métropole du vice et de la violence. Qu’en pense Martin Fowler, écrivain vedette et névrosé invité au congrès? Et ce Marcel Fiasque, professeur franchouillard qui s’est faufilé parmi les congressistes? Ces quelques jours de commérages et d’héroïsme de salon sont délicieux.

Mais tout le monde n’apprécie pas la venue de ces étrangers en terre maniake. Dans les corridors, on parle d’attentat. C’est que du côté de Kradd, capitale de la République phrène éternelle, un despote coké, sanguinaire et parfaitement narcissique ne tolère pas la moindre critique de son régime.

Cette fiction politique nous fait pleinement goûter l’imaginaire et la finesse visionnaire d’Olivier Todd, qui a ici beaucoup plus de latitude littéraire que dans ses biographies consacrées à Valéry Giscard-d’Estaing ou encore Albert Camus. Fascinant d’intelligence et terrifiant de pertinence, Corrigez-moi si je me trompe nous convainc qu’avant d’être un fin documentaliste, Olivier Todd est un grand romancier.

Corrigez-moi si je me trompe,
d’Olivier Todd
NiL Éditions
1998, 176 pages