Raymond Cloutier : Un retour simple
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Raymond Cloutier : Un retour simple

Il n’est ni évident ni facile de passer d’une discipline artistique à une autre, particulièrement dans un petit pays où l’on vous attend au tournant. Le comédien Raymond Cloutier, connu pour ses prises de position polémiques sur le monde théâtral montréalais, vient de faire le saut en littérature avec un premier roman, qui a ses qualités et ses faiblesses. Le fondateur du Grand Cirque Ordinaire, qui marqua le théâtre québécois des années soixante-dix, ex-directeur du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, fait, dans Un retour simple, le récit sensible, au «je», de la vie amoureuse et professionnelle d’un bébé du boum dans un Montréal verglacé.
Paul Lacroix, son héros, la quarantaine, travaille pour une grande agence de publicité, qui va bientôt le mettre à pied, pour lui offrir aussitôt une pige pour la pub d’un festival international de nouvelle danse… Au même moment, Madeleine, sa vieille amie-amante en instance de séparation d’un mari journaliste et alcoolo, va obtenir le poste de directrice administrative de la compagnie d’une chorégraphe très en vue. La pianiste de celle-ci, Rachel Desmarais, va taper dans l’oil de Paul, qui n’aura de cesse de poursuivre cette fille fuyante à la double personnalité, jusqu’en Pologne.

Au fil des déambulations de son narrateur dans le milieu culturel montréalais, dans les bars et les rues de la ville, au hasard de ses coups de foudre, de ses baises passagères et de ses rêves de grand amour, le romancier livre ses réflexions sur la vie d’aujourd’hui, les idéaux déçus de sa génération, cherchant un art de vivre qui puisse l’apaiser.

«On se retrouvera sûrement, à soixante-dix ans, elle chez moi et moi parfois chez une autre. Nous redessinerons le quotidien de la vieillesse. Nous formerons une majorité invisible de vieux fumeurs de pot, envahisseurs d’Internet, cherchant encore et toujours l’amour fol. Le voilà notre désir à nous: être encore là pour en jouir jusqu’à la fin, s.v.p. Mais en attendant, que d’angoisses, que de culpabilités! Et surtout, que de temps passé à glaner des petits plaisirs à la mode pour cacher notre grande peur, pour nous remercier d’endurer la douleur de nos vies sans envergure.»

La catastrophique tempête de verglas sur Montréal donne à tout un sens nouveau, force les gens à s’arrêter, à se parler. Paul, dont l’appartement est épargné par les pannes d’électricité, accueille des réfugiés alors que sa quête amoureuse de la belle pianiste connaît tous les revers. Rachel Desmarais, alias Érica Latek, le conduit de mystère en révélation. Puis un jour il part pour la Pologne… et l’histoire bascule dans une sorte de conte invraisemblable. On est dans la fiction, bien sûr, mais difficile de croire aux nombreuses coïncidences qui parsèment le chemin du héros.

L’auteur aurait pu tourner l’affaire complètement à la fantaisie, plutôt que de s’en tenir à un réalisme tiré par les cheveux, et ç’aurait été plus facile de le suivre. L’écriture de Raymond Cloutier, légère mais juste, a quelque chose de pétillant, qui ne lasse pas. En même temps, cette légèreté a le défaut d’une sensation d’effleurement, un peu comme si le narrateur et personnage central parcourait toujours en touriste la vie montréalaise, la crise du verglas, l’Europe, et en définitive sa propre existence. Éd. Lanctôt, 1998, 198 p.