Serge Lamothe : La Longue Portée
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Serge Lamothe : La Longue Portée

Un homme se retrouve dans une chambre d’hôtel et attend un rendez-vous fatal. Atmosphère sinistre, personnages immensément tristes. Le narrateur de ce récit nous raconte, par le biais d’une longue lettre à son fils Simon, ce qui l’a conduit dans ce lieu. C’est par le biais de cette confession que nous découvrons le premier roman de Serge Lamothe, un auteur de la région de Québec né en 1963.
Divisé en trois parties, le récit plante un décor connu de bien des gens de la génération X: jeunesse libérée dans les années 70, parents divorcés, vent de folie… activé par des substances psychotropes. Charles Godin, le narrateur, atterrit à Jasperville, dans les Cantons-de-l’Est, et étudie l’histoire des religions à l’université.

Il fait la rencontre d’une «Tribu», ni plus ni moins qu’un groupe d’amis avec qui il partagera le quotidien, lorsqu’il s’installe avec eux, au Château. «L’amitié, secrète alchimie des affinités et des antagonismes. Étrange comme certains êtres qui percutent notre route, météores si intimes, si troublants reflets de nos aspirations et de nos difformités, demeurent à jamais d’indéchiffrables énigmes.»
Charles admire Stephen Galaczy, et se lie d’une amitié particulière avec Nadia. Période heureuse, où les jeunes amis se gavent de drogues douces et dures, et où chacun à sa façon flirte avec la mort. On sent particulièrement bien les ambiances joyeusement anarchiques, mais parfois froides et solitaires; on voit les chambres, bordéliques, tout comme on s’identifie à ce narrateur qui sait si bien parler de lui et de son petit monde, de ses sentiments et de ses terreurs.

Un événement fera basculer l’harmonie de la Tribu, et Charles se retrouvera seul, aux prises avec ses démons qu’il devra bien dompter. C’est le cour du récit, où l’on rencontre, vingt ans plus tard, une autre tribu, celle des compagnons de désintox de Charles, avec qui il apprendra à revivre, à se réveiller d’un très long cauchemar.

Nous ne sommes pas dans un témoignage premier degré sur le thème de la toxicomanie, mais dans un vrai roman, à la croisée du journal intime et de l’épopée; déroulant le fil double du mysticisme (avec Nadia, ses rêves et ses Enfants-lumière) et de l’onirisme (déployé par des images reliées au bestiaire, à l’espace, au conte), Serge Lamothe construit habilement son roman, dosant avec une grande sensibilité tous les éléments qui mènent à cette rencontre fatale entre deux âmes qui ont connu la mort, mais qui n’ont pas su y survivre. On nous promet une suite, ce roman figurant le début d’une trilogie, mais Lamothe a placé la barre très haut, ce qui est tout en son honneur. Éd. L’instant même, 1998, 206 p.