Patrice Servant : Lettre à Isabelle
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Patrice Servant : Lettre à Isabelle

La vie de couple est-elle inévitablement vouée à sa perte, malgré la meilleure volonté du monde? Dans son premier roman, Patrice Servant aborde un thème légéndaire; mais, avec sa voix originale, rafraîchissante, il détrompera tous ceux qui pensent qu’il n’y a plus rien à dire sur l’amour.

L’amour peut-il durer toujours? La vie de couple est-elle inévitablement vouée à sa perte, malgré la meilleure volonté du monde? Dans son premier roman, Patrice Servant, qui gagne sa vie comme journaliste et rédacteur, aborde un thème légéndaire; mais, avec sa voix originale, rafraîchissante, il détrompera tous ceux qui pensent qu’il n’y a plus rien à dire sur l’amour.
Christian adresse à Isabelle, la mère de son enfant, plusieurs lettres – qui pourraient, sur le plan du récit, se résumer en une seule; dans ces missives, il se remémore leur rencontre, les débuts de leur vie de couple, leur union. Surtout, Christian se rappelle ce moment où elle désirait tant un enfant, et le poursuivait de sa «tyrannie reproductive». «J’avais peur, bien évidemment, de l’engagement que pouvait représenter un enfant. Comme l’immense majorité des hommes, sans doute. À l’époque, je me disais qu’un enfant, c’était comme une maladie chronique. Le genre de microbe qui te tombe dessus et dont tu ne te défais jamais; (…) Pour moi, "paternité" rimait avec "inutilité" et "incapacité".»
Par le procédé de la lettre, Christian prend ses distances. Il peut ainsi confier à Isa qu’il a perdu ses repères et, il le craint, son amour pour elle, depuis ce beau jour où est tombé le verdict fatal: «J’ai donc bu mon vin dehors, à même la bouteille, en essayant de mesurer l’ampleur du désastre. J’avais accepté de me reproduire pour ne pas te perdre, mais tu n’étais plus toi-même.» Depuis ce jour, le papa déconfit a remis sa vie en question, et se débat avec une crise existentielle majeure.
Cette longue confession permet au narrateur de s’interroger sur les relations amoureuses, les différences entre les sexes, et sur la communication. Mais, surtout, le récit de Servant développe une réflexion sur la paternité, sur la condition masculine qui n’est pas si commune en littérature (qui n’est pas si commune tout court?…). Alors que les femmes n’ont aucun mal à inventer des histoires qui mettent en scène ce genre de thèmes (intimité, vie cojugale, maternité, etc.), on voit peu de personnages masculins s’interroger sur eux-mêmes, leur sexualité, leurs doutes, leurs peurs. Bien sûr, on peut être en désaccord avec le point de vue du narrateur sur les femmes (surtout quand il écrit «qu’une femme qui se refuse à l’enfantement en vient un jour à se sentir incomplète, inachevée»), mais il a au mois le mérite d’aborder quelques tabous avec honnêteté.
Il faut saluer l’originalité de ce Lettre à Isabelle, qui, malgré quelques maladresses (la répétition du prénom Isabelle est parfois agaçante) est habilement construit, et écrit dans une langue vive et sensible. En fait, le roman fait réellement croire à cette femme évanescente, pleine de vie, et à cet amour qui renaît de ses cendres.

Éd. Beaumont, 1999, 136 p.