Sylvie Massicotte : Sauter dans le vide
Livres

Sylvie Massicotte : Sauter dans le vide

Pour SYLVIE MASSICOTTE l’écriture prend plusieurs formes. Que ce soit dans ses romans pour les jeunes, ses recueils de nouvelles pour les adultes, ses textes de chansons, l’enseignement, écrire est un verbe qu’elle conjugue à tous les temps. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la sortie du Cri des coquillages.

Certains écrivains semblent voués corps et âme à l’écriture, leur seule vocation depuis toujours, peu importe la forme que prend cet engagement. En écoutant parler Sylvie Massicotte, depuis Bruxelles où elle était en séjour durant le mois de février, pour y diriger des ateliers d’écriture et présenter à la Foire du livre son nouveau recueil de nouvelles tout juste sorti des presses, on ne peut que saluer la constance de sa démarche. Le Cri des coquillages poursuit de façon concluante l’exploration commencée dans L’Oeil de verre et Voyages et autres déplacements (Éd. L’instant même, 1993 et 1995).

En fait, on pourrait presque suggérer à l’éditeur de réunir en un coffret ces trois recueils, tant ils paraissent liés, tel un triptyque, ce que reconnaît l’écrivaine. Nul doute qu’une lecture suivie des trois livres permettrait de voir avec acuité l’évolution, les changements d’angles, mais aussi la continuité, la fidélité à une quête sans cesse renouvelée.

Espace à occuper
Fragmentaire dans sa forme, l’oeuvre de Sylvie Massicotte, où apparaissent d’ innombrables personnages, souvent le temps d’un court passage, déterminant, trouve son unité dans les choix thématiques. «Après avoir publié L’Oeil de verre, explique-t-elle, j’avais perçu, au-delà du thème du regard, le rapport intérieur-extérieur que vivaient les personnages: ils étaient beaucoup dans leur tête et il y avait un choc avec ce qui se passait à l’extérieur, donc une sorte d’enfermement. Voyages et autres déplacements est né du besoin de faire bouger ces personnages qui étaient enfermés. Après, je me suis rendu compte que ce que je faisais avait toujours un rapport avec l’espace et j’ai eu envie de pousser plus loin. Je suis allée, avec Le Cri des coquillages, dans ce qui était pour moi le point ultime de l’espace: le vide. C’est abstrait comme ça, mais je me suis vite aperçue que j’étais toujours face à des personnages qui étaient soit dans le manque, soit dans la perte: les situations dans lesquelles ils évoluaient étaient des espèces de culs-de-sac, plus que jamais.»

Il y a en effet, dans ce recueil extrêmement touchant, des êtres pris dans des impasses, des moments où toute leur existence semble vouloir basculer. Comme cette femme que son mari a quittée pour une autre, à présent enceinte, et qui apprend par hasard de son voisin que c’est avec sa femme à lui que le mari est parti. Comme l’étudiante enceinte qui ne voit d’autre issue que l’avortement, malgré la peur qui la prend aux tripes. Ou cet homme qui trouve auprès d’un chien l’affection que ne lui donne plus sa femme. Puis cette jeune mère en panne sur la route en plein orage et qui n’a plus de lait pour nourrir son bébé. Ou ce couple d’amants dont l’amour a fui.

Le thème de la maternité, qu’il s’agisse d’accouchement, d’allaitement ou d’avortement, et la présence des enfants reviennent au fil des pages comme un leitmotiv involontaire. «Assez vite, il y avait plusieurs textes avec des bébés et je ne comprenais pas trop, raconte Sylvie Massicotte. Au départ, mon titre de travail était La Voix des coquillages, le coquillage représentant pour moi une image du vide parce que ç’a été habité, puis déserté. Puis j’ai lu un texte de Freud qui explique que le coquillage est une matrice désertée, en fait, et donc, ça recoupait complètement ce qui se mettait en place de façon spontanée. Ce sont les premières nouvelles qui ont posé les jalons du recueil et il y avait souvent un son strident ou un cri; et bon, à un moment donné, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de la voix mais du "cri" des coquillages, quelque chose de strident qui s’imposait.»

L’inaptitude des personnages à se sortir de l’embarras, souvent émotif, où ils se trouvent, finit par créer, au fur et à mesure qu’on progresse dans la lecture, une sorte de tension insoutenable, que l’écrivaine dit avoir ressentie aussi pendant le travail d’écriture. Ce côté implacable de la vie, quand on s’aperçoit qu’on n’a pas saisi l’occasion d’une rencontre, la promesse d’un possible bonheur, parce qu’on a manqué d’assurance ou d’intuition, culmine dans la dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil: «L’idée d’un enfant, en plus de ceux qu’elle avait déjà et qui vous avaient donné la certitude, depuis le début de la relation, que vous n’alliez pas rester avec Mimi, que vous n’alliez pas aimer Mimi, jamais l’aimer. Vous ignoriez qu’à travers la mort on peut commencer à aimer quelqu’un, véritablement. Cela se peut, vous êtes en train de vous dire que cela se peut lorsque vous mettez le pied sur un coquillage. Et puis, devant vous, il y en a mille qui vous apparaissent tout à coup comme des matrices désertées. Tous ces enfants que vous n’avez jamais eus.»

L’exigence d’écrire
Sylvie Massicotte confie avoir toujours voulu écrire, «avant même de savoir écrire»: «Déjà, à l’école secondaire, j’allais voir l’orienteur pour savoir ce qu’il fallait faire pour être écrivain et on me répondait: "Ça ne te tente pas d’être hôtesse de l’air ou infirmière?" Je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’à l’année dernière où j’ai donné un atelier d’écriture à des infirmières et où j’ai vu à quel point la compassion que j’avais pour les personnages n’était pas étrangère à cette profession. Et puis, hôtesse de l’air, ça devait avoir rapport avec mon goût des voyages…»
À seize ans, Massicotte annonçait à ses parents qu’elle prenait une année sabbatique pour écrire. Depuis, elle a composé des textes de chansons, notamment pour Luce Dufault et Dan Bigras, a publié deux romans jeunesse, Les Habitués de l’aube et Le Plus Beau Prénom du monde (Éd. La Courte Échelle, 1997 et 1999), et en a un autre, pour les adultes, en chantier.
Massicotte dirige également des ateliers de création littéraire: elle tente de transmettre aux écrivains en herbe quelque ouverture sur le dur métier d’écrire. «Il y a une foule de gens qui veulent écrire, note-t-elle, mais ce qui va faire la différence, c’est la place qu’on est prêt à accorder à l’écriture. Il n’y a personne d’autre que nous pour le faire et quand on écrit, on est toujours pris avec ce problème-là, qui est un choix en fait, de faire de la place à l’écriture, souvent au détriment des sorties, des rencontres avec des amis.»
Privilégiant la formule des ateliers intensifs d’une ou plusieurs fins de semaine, partant du principe qu’il ne s’agit pas de critiquer des textes qui de toute façon sont en devenir, elle appuie son approche sur les notions de respect et de générosité: «Les ateliers sont toujours un voyage pour les participants, assure-t-elle. Il y a toujours un moment où quelque chose bascule et c’est très troublant pour un animateur. Les gens font de drôles de tête – il ne faut pas être paranoïaque – mais je sais très bien que ces momnts-là sont les plus porteurs: ils sont bouleversés par ce qu’il expérimentent. Je n’ai pas une approche thérapeutique, mais on sait bien que l’écriture remue des choses. Il faut que les gens se sentent bien, libres de laisser bouger ces choses en eux et qu’ils aient assez confiance qu’on n’ira pas jouer là-dedans.»
Elle précise qu’il n’est pas question de réécriture lors d’un premier atelier. «Il doit y avoir une distance nécessaire entre le premier jet et la réécriture. Surtout quand on commence à écrire. On dit souvent que les jeunes écrivains ne veulent pas retravailler leurs textes. Ce n’est pas vrai, c’est qu’ils en sont incapables, parce que trop collés dessus. Et puis, en atelier, ils vivent en accéléré le processus qu’on vit sur plusieurs années comme écrivain. Ils passent par des moments d’euphorie et des moments de découragement, mais quand ils en sortent, ils comprennent l’exigence d’écrire.»

Le Cri des coquillages
de Sylvie Massicotte
Éd. L’instant même, 2000, 126 p.