Michel Dolbec : Le cousin d'Amérique
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Michel Dolbec : Le cousin d’Amérique

MICHEL DOLBEC, journaliste correspondant québécois en France, a pondu un polar dans la série des Poulpe, qui se déroule à Shawinigan. Une occasion de faire voler en éclats les clichés sur le Québec.

Le Poulpe est de retour! Gabriel Lecouvreur, qui vient d’avoir 40 ans en l’an 2000, ce Robin-des-villes gauchiste qui a renouvelé le genre du roman de gare au milieu des années 90, qui a connu un succès fracassant à ses débuts, avant de sombrer dans le flot des difficultés financières de Baleine, son éditeur, pour être ultimement sauvé du naufrage par le Seuil, Le Poulpe, donc, ressuscite.

Et pour allécher le lectorat québécois, sa dernière aventure est signée par le correspondant de la Presse Canadienne à Paris, Michel Dolbec, qui est venu, à l’instar de son héros, faire un saut rapide au pays.

Pour faire une histoire courte, le concept du Poulpe, qui compte à son actif près de deux cents bouquins, un film, des BD, exige que chaque nouveau récit soit écrit par un auteur différent, qui doit se conformer à certaines directives de base, dont l’âge du héros, ses caractéristiques physiques, ses longs bras, d’où son surnom, son statut d’orphelin, son statut légal plutôt clandestin, son engagement politique dans la gauche… Le journaliste québécois installé à Paris depuis dix ans déjà, qui a vu éclore le phénomène du Poulpe avant d’envisager d’en pondre un, s’est donc prêté au jeu de l’exercice de style.

Un p’tit gars de Shawinigan
Le jeune quadragénaire originaire de Shawinigan, qui signe son premier roman mais qui se promet de récidiver, y retrouve tout de même ses racines, ce qui nous vaut une visite de Gabriel Lecouvreur en sol québécois. «-C’est un cadre où j’ai essayé de défolkloriser le Québec, de plaider Dolbec. J’avais envie de dire qu’une ville qui s’appelle Shawinigan peut aussi être une ville industrielle en perte de vitesse, comme en Europe, dans le Nord de la France. Shawinigan, c’est une ville belge, Mons, Maubeuge, la brique, la forme des usines, le déclin, la tentative de renaissance par le tourisme. Ce n’est peut-être pas si exotique.- Mais, Shawinigan, c’est aussi Carole Laure!»

Malgré tout, c’est quand Dolbec revient chez lui qu’il se fait le pus authentique. Même les noms de bières, breuvage dont le Poulpe est friand, redeviennent les vrais, alors qu’ils sont pastichés quand l’action se déroule à Montréal, où l’on trinque à la Sale Gueule. À Shawi, on boit de La Maudite! Mais la formule du Poulpe ne permet pas vraiment à son auteur de retomber sans filet dans son enfance. «-Ça me permettait d’écrire un roman assez balisé, d’avouer Dolbec. On ne peut pas partir dans tous les sens, ce qu’on fait fréquemment dans un premier roman, qui est souvent nourri de souvenirs d’enfance, où l’on verse rapidement dans le sentimentalisme. Avec l’encadrement du Poulpe, je ne peux pas dire n’importe quoi sur mon enfance. Pas le temps de s’apitoyer. C’est un polar. Des gens d’ici qui l’ont lu m’ont dit que les chapitres sur l’enfance à Shawinigan étaient en fait les mieux travaillés; mais les souvenirs, ça tient sur trois pages. Dans mon prochain roman, je n’aurai pas besoin de revenir là-dessus.-»

Ce retour à la géographie de l’enfance nous procure assurément les pages les plus senties de cette histoire rocambolesque où hockey, pédophilie et perversion sexuelle flirtent avec l’extrême droite et le terrorisme policier de la GRC au temps du FLQ. En pleine émeute de la Coupe Stanley par-dessus le marché. Méchant programme!

En guise de mise au jeu, alors qu’il est sagement installé dans son café fétiche, Le Pied de Porc, le Poulpe assiste au récit de voyage d’un Français qui revient du Québec. Il apprend, à la une du Montréal-Matin que le touriste a laissé sur le comptoir, l’assassinat d’un pauvre concierge obèse dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Cela suffit au justicier pour s’envoler vers l’Amérique. Comme s’il savait dans quel guêpier il allait mettre les pieds.

Le choc des cultures
Observateur privilégié des relations franco-québécoises de par son poste de correspondant canadien en France, Michel Dolbec profite de la tribune du Poulpe pour remettre, à sa façon, les pendules à l’heure quant à la perception qu’ont les Français des Qubécois. D’ailleurs, dans son roman, ce sont les personnages québécois qui émaillent leurs propos de références à Céline Dion, Jacques Villeneuve, Roch Voisine. «-La caractéristique prédominante de l’identité du Québécois qui va en France, c’est l’affect, analyse Dolbec. Le Québécois a besoin d’être aimé. Dans les cafés, les restos, il dit: «-Vous avez remarqué mon accent, je suis québécois, aimez-vous l’accent québécois?-»; autrement dit: m’aimez-vous? Ce sont eux qui parlent de Céline Dion; on est tellement fiers d’elle, on est comme elle, donc on existe. Les Québécois sont convaincus que les Français ont d’eux une image folklorique, mais c’est plutôt de l’ignorance. Les Français, ils s’en foutent un peu. Le Poulpe, il vient ici, il remarque l’accent, il continue et il repart. Je me suis mis dans ses oreilles.-»
Un pari risqué dont le plus français des Québécois se tire assez bien.


Palet Dégueulasse

Une curiosité plutôt amusante, un peu tirée par les cheveux, mais c’est propre au genre. Les amateurs de hockey seront surpris de voir les Caribous de Montréal en finale de la Coupe Stanley, contre les Queens de San Francisco! Vive les jarretières! S’inspirant des faits divers impliquant des instructeurs de hockey dans des affaires de pédophilie, l’auteur tisse des liens avec les groupuscules politiques manipulés pour contrer les activités terroristes du FLQ. Autour de cette intrigue calquée sur le modèle politique français (gauche VS droite), Michel Dolbec brode à gauche et à droite ses commentaires, souvent très lucides, sur les rapports qu’entretiennent Français et Québécois. C’est léger, même si ça finit par saigner abondamment. Mais ça aussi, c’est propre au genre.

Soulignons du même coup la parution d’un coffret anniversaire où plus d’une centaine d’écrivains et bédéistes témoignent du 40e anniversaire de naissance de Gabriel Lecouvreur. Le même éditeur, Baleine, lance également une nouvelle collection plutôt inattendue, la Série Grise, pour les 72 à 83 ans. C’est ref et c’est écrit gros. Le premier titre, Démons et vermeils est signé Jean-Bernard Pouy, l’inventeur du Poulpe.

Éd. Baleine, 2000, 163 p. (S. H.)