José Saramago : Manuel de peinture et de calligraphie
Prix Nobel de littérature en 1998, le romancier portugais José Saramago est un écrivain qu’on découvre peu à peu, avec un plaisir renouvelé. Homme d’engagement, qui avoue, à près de 80 ans, être toujours membre du Parti communiste portugais auquel il adhéra en 1969, homme de culture dont les modèles littéraires sont Pessoa, Kafka et Borges: son oeuvre étonne et séduit par l’intelligence de sa prose et son humour malicieux, ironique, indissociable de son style.
Prix Nobel de littérature en 1998, le romancier portugais José Saramago est un écrivain qu’on découvre peu à peu, avec un plaisir renouvelé. Homme d’engagement, qui avoue, à près de 80 ans, être toujours membre du Parti communiste portugais auquel il adhéra en 1969, homme de culture dont les modèles littéraires sont Pessoa, Kafka et Borges: son oeuvre étonne et séduit par l’intelligence de sa prose et son humour malicieux, ironique, indissociable de son style.
Après, notamment, Le Radeau de pierre, Histoire du siège de Lisbonne, L’Évangile selon Jésus-Christ et Tous les noms, voici son neuvième roman traduit: Manuel de peinture et de calligraphie. D’abord paru en 1983, il s’agit en fait de l’un des premiers ouvrages de l’écrivain, qui fut directeur adjoint au quotidien Diario de noticias durant de nombreuses années avant de connaître la gloire littéraire au début des années 1980. Véritable traité, à forte teneur ludique, sur les relations entre l’art pictural et l’écriture, le Manuel met en scène un peintre du nom de H., dont la grande frustration est de ne pas être un artiste. En effet, notre héros et narrateur gagne sa vie en répondant à des commandes de portraits officiels de chefs d’entreprises ou de familles bourgeoises dont le souci premier est la ressemblance du dessin et du modèle. On le loue pour cela, il est le meilleur et pourtant.
Devant faire le portrait d’un homme d’affaires antipathique, désigné par la lettre S., H. s’interroge sur la vérité qu’il lui faut rendre de son modèle. «La vérité biologique? La vérité mentale, ou affective, ou économique, ou culturelle, ou sociale, ou administrative? La vérité de l’amant temporaire et du protecteur de la jeune Olga, sa cinquième secrétaire? Ou la vérité conjugale? Celle du mari qui trompe? Celle du mari trompé à son tour? Celle du joueur de bridge et de golf? Celle de l’électeur de gouvernements fascistes? Celle de l’eau de Cologne dont il s’asperge? Celle de la marque de ses tros automobiles? Celle de ses obsessions sexuelles?»
En proie au doute et à l’insatisfaction, il décide de peindre en cachette un second portrait de S., où il n’aura pas à se préoccuper de la ressemblance. Il se met également à l’écriture d’un journal qui devrait l’aider à mieux comprendre les méandres de la création. Au fil de ses rencontres avec des amis, d’aventures avec deux femmes et de ses démêlés avec une famille proche du pouvoir salazariste – nous sommes en 1973, un an avant la Révolution des oeillets à laquelle participa activement José Saramago -, le peintre H. avance progressivement dans sa compréhension des processus de la création artistique, picturale et littéraire, où il faut tout investir de soi, en lien avec sa société. Mine de rien, grâce à l’immense talent de conteur de l’auteur, le journal de H. devient, au fur et à mesure qu’on le lit, un véritable roman, et qui plus est, un roman politique, ce qui n’était nullement annoncé au départ.
Par son érudition et sa connaissance de l’histoire de l’art, à travers ses considérations politiques sur l’Espagne et l’Inquisition, le Portugal et la dictature, le grand écrivain José Saramago nous rappelle que son petit pays est riche d’une longue histoire et d’une culture bien à lui, à la fois spécifique et universelle.
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich, Éd. du Seuil, 2000, 256 p.