Rafi Zabor : Un ours à Manhattan
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Rafi Zabor : Un ours à Manhattan

Et si Charlie Parker, ce géant du be-bop à qui on donnait le surnom de Bird, avait vraiment été un oiseau? La réponse se trouve dans Un ours à Manhattan, de Rafi  Zabor.

Et si Charlie Parker, ce géant du be-bop à qui on donnait le surnom de Bird, avait vraiment été un oiseau? La réponse se trouve dans Un ours à Manhattan, de Rafi Zabor.
Le personnage central du roman est un musicien qui s’appelle Ours. Parce qu’il s’agit vraiment d’un ours: deux cents kilos de fourrure, de griffes et de crocs. Mais ce drôle d’animal a appris à parler. Il aime bien la lecture (plus particulièrement La Chartreuse de Parme, de Stendhal, et les poèmes de Rainer Maria Rilke), apprécie les bons vins et les bons repas (avec une nette préférence pour le saumon cru).
Et il a surtout un incroyable talent pour le saxophone. Ce qui, selon Ours, tient au «lien profond et même fondamental entre sa propre espèce et les musiciens de jazz en général. Bird s’était approché du plantigrade en prenant du poids avec l’âge. Mingus était un grizzli. […] Mais Ellington était un tigre, tout le monde savait ça; un élégant aussi, jusqu’au bout des griffes et de sa voix de velours.»
Un ours à Manhattan commence lorsque Ours se décide à «sortir du placard». Il en a marre de faire le simple animal de foire; il veut être reconnu pour ce qu’il est: un fameux saxophoniste. Ce qui ne se fera évidemment pas sans anicroche. Un soir, on viendra l’arrêter en plein coeur d’une jam-session. Mais parce qu’on ne sait trop si on doit l’enfermer au zoo ou au pénitencier, il passera quelques mois au fond du couloir d’une institution psychiatrique.
Le roman raconte les premiers enregistrements d’Ours, et sa première tournée pendant laquelle, comme il arrivait aux artistes noirs du temps de la ségrégation, il se voit forcé de dormir dans un camion tandis que ses accompagnateurs sont à l’hôtel. Ce qui devient l’occasion de superbes pages sur la vie des jazzmen et sur leur musique. «C’est incroyable, dit Ours, ce qu’il faut avoir appris, avant de sortir un seul chorus correctement. Ouais, il faut bien connaître la vie. Sans parler du saxo.»
Un ours à Manhattan est avant toute chose un roman sr la quête d’un musicien qui cherche «comment être au monde totalement et faire une musique qui serait l’expression du sentiment d’exister». Cela dans l’espoir d’être rien de moins qu’à la hauteur de John Coltrane: celui par qui la beauté absolue s’est faite jazz, et à qui, selon Ours, «il ne restait plus […] que de léviter ou d’éclater en flammes. Parce qu’il était parvenu aux confins de la musique.»
Rafi Zabor a écrit un bouquin qui vous met le sourire aux lèvres. Parce qu’on y parle merveilleusement bien de musique; et parce qu’avec un ours comme personnage principal, on ne saurait éviter les scènes cocasses. Comme lorsque Ours se plaint des femelles de sa propre espèce qu’il va parfois retrouver dans les bois et avec qui il n’y a pas moyen d’échanger quelques mots après avoir baisé. Ou quand, réagissant instinctivement à l’odeur d’une urine mâle et étrangère sur son territoire, Ours doit se retenir de mordre le chauffeur de sa tournée qui a pissé contre un des arbres entourant la maison où il réside.
Relativement bien traduit de l’anglais par Philippe Rouard, Un ours à Manhattan est un roman qui se lit comme on écoute un grand disque de jazz: avec plaisir.

Éd. Denoël & d’ailleurs, 2000, 575 p.

Un ours à Manhattan
Un ours à Manhattan
Rafi Zabor