Nébulosité croissante en fin de journée : Rage au volant
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Nébulosité croissante en fin de journée : Rage au volant

Avec Nébulosité croissante en fin de journée, Jacques Côté signe un polar drôlement bien fichu. Et s’il ne renouvelle pas la forme (peut-on de toute façon la renouveler à l’infini?), il nous démontre qu’il a très bien fait ses devoirs.

Norbert Spenher en a fait la preuve dans son imposant Roman policier en Amérique française (Éd. Alire, 2000): le Québec et l’Amérique du Nord francophone comptent beaucoup plus d’auteurs de polars qu’on ne le soupçonnait. Malheureusement, ce que l’essai de Spenher mettait aussi en évidence, c’est la piètre qualité des romans policiers écrits en français de ce côté-ci de l’Atlantique depuis quelque 160 ans. "Les choses changent, prophétisait Spenher, depuis le début des années 90." Et la parution du premier polar de Jacques Côté semble bien vouloir lui donner raison.

Nouveau venu dans le genre, Côté n’en était pourtant pas à ses premières armes. Il est l’auteur d’un premier roman remarqué, Les Montagnes russes (Vlb, 1988, une histoire d’amour dans la veine du Coyote de Michel Michaud, qui se passait à Québec en 1984, vous vous souvenez, ce fameux été de la débâcle des Grands Voiliers?). On lui doit aussi un roman en vers, Les Tours de Londres (Éd. Vlb, 1991), et Les Amitiés inachevées (Éd. Québec/Amérique, 1994), l’histoire d’une jeunesse "cassée" qui s’agrippe désespérément à ses rêves. Avec Nébulosité croissante en fin de journée, il signe un polar drôlement bien fichu. Et s’il ne renouvelle pas la forme (peut-on de toute façon la renouveler à l’infini?), il nous démontre qu’il a très bien fait ses devoirs. Son histoire est construite sur des poutres, l’intrigue est à l’avant-plan, solide, enlevante, les scènes d’action sont réglées au quart de tour.

À sa sortie de prison, H, un jeune homme passionné de courses de démolition, trouve dans une station-service de Sainte-Foy le boulot qui aidera à sa réinsertion dans la société. Ce taciturne au passé délinquant, bouillant de l’intérieur, fasciné par les voitures accidentées, rêve de participer aux courses de démolition de l’autodrome de Val-Saint-Michel. Alors qu’il a un jour l’insigne honneur de servir son idole, Kid Samson, venu faire le plein de sa Corvette Stingray vert métallique 1959, il ne peut contenir sa nervosité, et fait une erreur qui déclenche la colère et les railleries de Samson. Un événement insignifiant, mais à ce point humiliant pour H qu’il en perd les pédales. Il aura sa vengeance. Et sa vengeance se déversera à l’aveuglette sur les automobilistes qui auront eu le malheur de croiser sa route. À la Sûreté du Québec, on confie l’enquête à Daniel Duval. Veuf, père d’une grande fille qui l’adore, marathonien dans ses temps libres, Daniel Duval ne ressemble pas à l’image que l’on se fait d’un enquêteur à la Sûreté du Québec: il doute constamment de lui. Ce qui le rend, on le devine, éminemment sympathique. Avec son acolyte, un homme bourru, étroit d’esprit mais attachant, il va entreprendre une enquête à hauts risques. L’originalité de Nébulosité croissante en fin de journée vient avant tout du décor dans lequel Côté a campé son intrigue. Il a mis la banlieue de Sainte-Foy, aujourd’hui patrie de la mairesse Boucher, sur la carte du polar. Et croyez-moi sur parole – j’y ai passé ma jeunesse à l’époque même qu’il décrit-, il fallait le faire. Rien n’est moins inspirant que ce paysage de petits et de grands boulevards bordés de "blocs-appartements" aussi laids que déprimants, de commerces anémiques et de restaurants bon marché. Côté a pourtant vu que ces lieux pouvaient servir de terreau à la folie meurtrière, et l’on y croit absolument. Il a aussi pris un soin méticuleux à retracer les noms des commerces de l’époque qu’il dépeint (1976), les chansons alors au hit-parade, les événements sportifs, politiques, voire météorologiques qui faisaient la une des journaux. Autant de détails qui, loin de l’alourdir, donnent de la crédibilité à son histoire, et du relief à sa toile de fond. Bref, c’est un vrai plaisir que de se plonger dans cette histoire. Et la suite, que la conclusion (réussie, et pas banale) laisse entrevoir, on l’attend avec impatience.

Nébulosité croissante en fin de journée
de Jacques Côté
Éditions Alire

2000, 364 pages

Nébulosité croissante en fin de journée
Nébulosité croissante en fin de journée
Jacques Côté