Arthur : Michel Rio

En 500 après Jésus-Christ, un courageux homme prenait la tête des troupes bretonnes pour affronter leurs rivaux: les Saxons. Ce jeune homme avait pour nom Arthur, et, de personnage réel, il est devenu un véritable héros de légende.

Ce sont les écrivains Robert de Boron et Chrétien de Troyes qui, au moyen âge, popularisèrent ses aventures; ses exploits, et ceux de ses chevaliers, traversèrent ainsi le temps jusqu’à nous, trouvant beaucoup d’échos chez les jeunes lecteurs qui y voient toutes les possibilités du merveilleux et de la mythologie médiévale.

Le cycle breton de Michel Rio est beaucoup plus sobre, et décevra peut-être ceux qui s’attendent à davantage de magie et de sortilèges. Car Arthur, qui clôt la saga entreprise il y a 10 ans avec Merlin (1989) et poursuivie avec Morgane (1998), raconte les faits historiques, la guerre que mena l’armée bretonne, et les conflits qui agitèrent les chevaliers de la Table ronde. "Arthur parlait à la Table Ronde, dans la plus grande salle de la forteresse de Camelot, située au centre de la civitas des Durotriges, à une journée de cheval au sud de Carduel. La Table gigantesque, était cernée par cent cinquante sièges, autant qu’il y avait de membres avant la bataille de Badon."

Les amateurs d’histoire apprécieront les détails qui suivront, sur l’organisation et la composition de l’armée, les échelons hiérarchiques des dirigeants, les stratégies militaires également. Tout comme l’on apprendra de quoi était constitué le gouvernement. "Ce qui prit au roi le plus de temps et de soins fut l’organisation de l’administration civile. Il divisa celle-ci en deux domaines généraux, celui de la justice et celui de l’intendance."

Bref, on en saura long sur le pouvoir au temps du roi Arthur; mais Camelot, Avalon ou Brocéliande paraîtront des lieux moins envoûtants, moins romanesques.

Les relations entre les différents personnages sont empreintes des valeurs chères à l’enseignement de Merlin, guide spirituel d’Arthur: il leur faut cultiver la loyauté, la fraternité, la tolérance. Mais cela n’empêche ni les mauvais sentiments ni les trahisons, comme on le sait. Et d’ailleurs, si cela n’existait pas, de quoi seraient faits les romans, et en particulier les romans de chevalerie?

Ainsi, Lancelot et Guenièvre tromperont Arthur, ami du premier, mari de la seconde; Arthur luttera contre sa passion pour Morgane, sa demi-soeur, qui lui donna un fils, Mordred, qui combat à ses côtés. En plus de détailler les épisodes guerriers, ceux-ci étant au centre des préoccupations quotidiennes, Michel Rio axe son cycle breton sur les personnages et leurs conflits intérieurs. "À présent, dit Arthur avec des larmes de colère et de tristesse, jugez-moi! (…) Je revendique ma passion pour Morgane, qui dure encore, et aussi ce fils né de l’inceste, et la guerre avec Lancelot, à laquelle il m’a forcé. Mon seul regret, si puissant qu’il me déchire le coeur, est d’avoir causé la perte de Guenièvre qui, je le vois à présent, m’aimait à sa manière violente et désespérée."

Plus froide et cérébrale que sensuelle, l’écriture de Michel Rio est au service d’une histoire qu’il s’approprie comme créateur, ainsi qu’il en témoigne dans cette entrevue accordée au Magazine littéraire en 1999, et reproduite à la fin de l’ouvrage. "Pour me débarrasser du bric-à-brac médiéval, j’ai tout simplement replacé le monde arthurien à sa véritable époque, celle des royaumes bretons (…). Ce flou historique m’offrait l’avantage d’une grande liberté d’invention tout en soumettant le cycle, sorti de cette espèce d’atemporalité médiévale, aux rigueurs de l’histoire, aux limites de la géographie, à la logique d’un déroulement linéaire. De là mon tableau chronologique et mes cartes, projet apparent d’historien mettant de l’ordre dans le chaos littéraire, projet en réalité d’écrivain comblant par l’imaginaire les silences de l’histoire."

Éd. du Seuil, 2001, 169 p.