François Gravel : Je ne comprends pas tout
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François Gravel : Je ne comprends pas tout

C’est une histoire très simple. Une histoire d’amour comme il en arrive partout, tout le temps, depuis toujours. Un homme marié, père de deux enfants, toujours amoureux de sa femme, parfaitement satisfait de sa vie de couple, rencontre une femme mariée, mère de deux enfants, toujours amoureuse de son mari et parfaitement satisfaite de sa vie de couple.

C’est une histoire très simple. Une histoire d’amour comme il en arrive partout, tout le temps, depuis toujours. Un homme marié, père de deux enfants, toujours amoureux de sa femme, parfaitement satisfait de sa vie de couple, rencontre une femme mariée, mère de deux enfants, toujours amoureuse de son mari et parfaitement satisfaite de sa vie de couple. C’est l’histoire de Falling in Love (souvenez-vous, Robert De Niro, Meryl Streep, les mouchoirs), l’une de ces rencontres qui donnent tout son sens à l’expression "tomber en amour" – la chute laisse des bleus, les fractures sont fréquentes, les cicatrices restent.

"Je peux vous résumer l’histoire en deux minutes, si vous voulez, annonce d’entrée de jeu le narrateur de Je ne comprends pas tout: je l’ai désirée pendant sept ans, je l’ai aimée pendant trois jours et trois nuits, et j’ai ensuite passé sept ans à tenter de l’oublier."

Amour fou, amour déçu, peine d’amour: le refrain est archiconnu. Mais il y a des airs, on ne sait pas pourquoi, dont on ne se lasse pas. Encore moins quand ils sont portés par de belles voix. Et celle de François Gravel est juste et agréable à entendre.

Dans Je ne comprends pas tout comme dans plusieurs de ses romans, l’auteur prête sa voix au narrateur. Celui qui s’adresse à nous sur le ton feutré de la confidence, comme on se délivre d’un secret, s’appelle Marc-André Fillion (il est le fils de l’un des personnages de Fillion et Frères, le roman précédent de Gravel). Sa vie est sans histoire, exactement comme il l’a toujours voulue. La famille est la valeur suprême. Le reste est secondaire. Lui et sa femme gèrent le foyer comme une petite entreprise, ils sont parfaitement en contrôle, comme on dit en anglais. Jusqu’au jour où le couple rencontre, par l’intermédiaire de ses enfants, les nouveaux voisins. Les regards de Marc-André et de Josée se croisent, il se produit quelque chose qui leur échappe (mais qui n’échappera pas à l’oeil perçant de l’épouse de Marc-André), "quelque chose de magique. Quelque chose d’évident. Une belle évidence. Une si belle évidence qu’il a fallu attendre sept ans avant qu’on se l’avoue".

Malgré des airs de famille, et même si la musique joue encore ici un rôle-clé (la chanson française – Brassens, Ferré – unit les personnages pour le meilleur et pour le pire), Je ne comprends pas tout n’a pas l’ampleur ni le souffle de Fillion et Frères. On n’y trouvera pas non plus la douce folie de Bonheur fou, pas de portrait d’époque comme il y en avait dans Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants ou dans Ostende (qu’on vient de rééditer en format poche), pas non plus de critique ou de regard ironique posé sur les maux de notre société (l’enseignement, dans Vingt et un tableaux [et quelques craies] et L’Effet Summerhill); et pourtant, ici comme ailleurs, le charme de cette écriture opère toujours. Gravel a un don, celui de raconter. Et même quand l’histoire n’est pas particulièrement originale ni passionnante, on reste suspendu à sa voix jusqu’aux derniers mots. Québec Amérique, 2002, 227 pages