Mistouk : La fabuleuse histoire d’un royaume
Hommage à ces pionniers à la fois humbles et grands de coeur, le roman de GÉRARD BOUCHARD fourmille de personnages colorés ou attachants.
Mistouk
parle d’un temps où le Saguenay entretenait des rêves de grandeur et de liberté. Forte des hôtes cosmopolites de son Château Roberval, Chicoutimi aspirait alors à devenir la Chicago du Nord… L’époque héroïque de la colonisation, "où tout redevenait possible (…) Comme aux premiers temps du monde". Un univers vaste, dur et enchanté, aujourd’hui disparu, que ce gros roman émouvant, le premier du sociologue Gérard Bouchard, ranime à la vie avec autant de chaleur que d’ampleur.
À cette grande épopée à la mesure du pays des fjords, il fallait un héros démesuré: ce sera Méo Tremblay, né un 24 juin (!) 1887, premier fils d’une famille de pauvres colons, venus défricher une parcelle du Lac-Saint-Jean, près de Mistouk – rebaptisée après sous le nom beaucoup moins chantant de Saint-Coeur-de-Marie -, avec plus d’espoirs que de résultats. Un géant par la taille physique, la témérité et les rêves, "à l’étroit dans l’univers", Méo multiplie les exploits et n’aura de cesse de bourlinguer, d’abord dans son territoire, puis d’un bord à l’autre des "États", ce "continent lointain mais familier" qui fait rêver tant de ses compatriotes, partis tenter leur chance dans les manufactures. Partageant la chasse d’une poignée de Montagnais dans les territoires hostiles du Nord, Méo deviendra aussi le témoin de l’agonie poignante d’un mode de vie traditionnel, d’une vision animiste de l’univers. Sa propre fin sonnera la chute d’un rêve…
Nourri à même un puits d’archives orales (Méo serait un personnage "pour une large part authentique"), Mistouk imbrique moult récits dans l’histoire principale, multiplie les anecdotes savoureuses ou tragiques. L’ensemble compose une sorte de mythologie captivante du Saguenay, réelle et imaginaire, avec ses personnages légendaires (tels Alexis-le-trotteur, le fameux cheval humain, ou même Louis Hémon!), ses histoires fabuleuses restées dans la mémoire collective.
L’auteur érudit de Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde a su faire vivre son objet d’étude favori avec beaucoup de conviction, de saveur et de sentiments, malgré certaines longueurs au début. Plusieurs épisodes témoignent de son talent de conteur, un hiver de famine en forêt, un accouchement qui tourne horriblement mal, la pénible traversée d’une tempête de neige pour sauver un bûcheron blessé…
Hommage à ces pionniers à la fois humbles et grands de coeur, le roman fourmille de personnages colorés ou attachants: la tragique Mathilde, promise dès le berceau à un destin de religieuse qui ne correspond pas à son tempérament passionné, Moïse, le taciturne Manigouche, le curé rebelle, l’éloquent oncle Almas…
Et Méo l’indécis, partagé entre son amour de sa terre natale et l’appel du large. La belle voisine, Julie, fait figure de patiente Pénélope de cet Ulysse volontaire, poussé à la bougeotte par on ne sait quelle insatisfaction. En fuite perpétuelle tout au long de sa vie, épris de liberté, esquivant les responsabilités, "Le Grand" n’aura planté ses racines nulle part…
Gérard Bouchard raconte cette dense odyssée saguenayenne avec une plume évocatrice, souvent pleine de verve, dans des dialogues restituant la langue orale, des descriptions exaltant la nature. Mistouk est un beau chant de la terre. Un chant d’amour de l’auteur à son coin de pays et à ses premiers habitants.
Mistouk
Boréal, 2002, 520 p.
Quel beau livre ; une œuvre historique pimentée d aventures et de rêves
à travers des yeux de Meo .
Un incontournable en vacances