VLB : Une brique et un fanal
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VLB : Une brique et un fanal

VLB a beau avoir jeté aux flammes le premier exemplaire de La Grande Tribu, son ambitieuse "grotesquerie", c’est surtout entre les mains de déjà nombreux lecteurs que le livre pète le feu. Notre copie étant saine et sauve, en voici un écho.

Une fois encore, on parle bien plus des convulsions polémiques de VLB que de ses travaux. Il l’a bien cherché, direz-vous, lui qui, devant un groupe de journalistes rassemblés chez lui à Trois-Pistoles, a, par fatigue et dépit patriotique, fait brûler il y a peu La Grande Tribu, son 70e livre et fruit d’une trentaine d’années d’écriture.

Faisons l’effort de ne pas nous laisser détourner de l’essentiel, c’est-à-dire cette invraisemblable brique, lourde de papier mais plus encore de symboles, occasion pour Victor-Lévy Beaulieu d’entremêler, dans un esprit de fête du langage autant que des idées, de grands pans de l’histoire mondiale récente et le vacillant projet nationaliste d’ici. Livre pluriel, complexe mais d’une charpente somme toute précise, La Grande Tribu s’articule en deux segments qui alternent au fil des pages: "Les Libérateurs", série de portraits de grandes figures du 19e siècle (de Simon Bolivar à Louis-Joseph Papineau, en passant par Jules Michelet, Abraham Lincoln et Hong-Sieou-Tsiuan dit Shang-Ti!), et "Les Lésionnaires", autour du narrateur au crâne troué Habaquq Cauchon, cul-de-jatte certes mais qui sait se tenir debout, fier descendant qu’il est du peuple des Petits Cochons Noirs. Si la peinture qui est faite des premiers s’enracine d’abord dans l’histoire vérifiable, le récit des aventures et mésaventures des seconds est de l’ordre de la fiction la plus éclatée, faisant intervenir en outre l’orignal épormyable, pensionnaire comme Habaquq de l’inquiétant docteur Avincenne. On l’aura deviné, VLB rend au passage un vibrant hommage à Gauvreau. "Tout va très vite maintenant que le trou que j’avais dans le crâne est plein de cette matière grise qui me permet de penser calmement par derrière et par devant, comme le font les supercordes qui donnent ses vibrations au cosmos. Je sais tout de ma famille depuis le commencement du monde, je comprends que sa matière manquante la forçait à ne rechercher que la survie, si peu nombreuse était-elle que ça la rendait peureuse, égoïste et solitaire, portée sur la trahison, la dénégation, le niement et le reniement, parce qu’incapable d’habiter dans la surréalité et ne cessant de la fuir, d’où ce refus de reconnaître en l’orignal épormyable l’un des plus grands poètes ayant jamais vu le jour sur la courbure de l’espace-temps."

Au terme d’une folle équipée, nos lésionnaires en fauteuils roulants iront jusqu’à attaquer l’Assemblée nationale, exigeant une déclaration unilatérale d’indépendance, les éclopés du Parti des lésions ne désespérant pas de faire mieux qu’autrefois le charismatique Louis-Joseph – les têtes de cochon porteront-elles plus loin le grand projet conçu dans celle à Papineau?

D’abord vaste projet littéraire, La Grande Tribu dépasse évidemment le cadre du littéraire. Ce que VLB montre, à travers ce qu’il associe lui-même à "une fable" plus qu’à un roman, c’est qu’il faut parfois oser forcer quelques portes, même quand tout semble ligué contre nous, pour aspirer à s’inscrire dans la grande histoire. L’écrivain ne nous avait-il pas prévenu en plaçant en exergue cette phrase de Sartre: "On n’est jamais assez radical."?

La Grande Tribu. C’est la faute à Papineau
de Victor-Lévy Beaulieu
Éd. Trois-Pistoles, 2008, 875 p.

La Grande Tribu
La Grande Tribu
Victor-Lévy Beaulieu
Trois-Pistoles