Gil Adamson : Force de la nature
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Gil Adamson : Force de la nature

La Torontoise Gil Adamson a vu The Outlander, un premier roman paru en 2007, être applaudi par plusieurs grands noms de la littérature américaine. Voici aujourd’hui La Veuve, une traduction qui en porte l’élan sauvage et musical. Entrevue.

"Un premier roman remarquable, plein de verve, superbement écrit, avec tout le panache de l’aventure de haut vol." Voilà le genre de phrase qu’on trouve ad nauseam dans les communiqués de presse accompagnant les nouvelles parutions. Quand ladite phrase est signée Michael Ondaatje, toutefois, on y prête une attention particulière.

Comme bien d’autres, l’auteur de L’Homme flambé a été happé par ce récit de fuite à travers la nature indomptée de l’Ouest canadien, au début du 20e siècle, ce western au féminin, pour reprendre l’expression fréquemment associée à La Veuve, qui a révélé Gil Adamson, auteure de nouvelles et de poésie au public jusque-là restreint.

Fait rare, peut-être unique en littérature, le personnage central de La Veuve provient du second recueil de poèmes de Gil Adamson, Ashland. Elle y avait en effet esquissé la figure de Mary, une femme qui fuyait après avoir tué son mari. On le sait, le fait de maîtriser l’art poétique n’est pas garant de résultats heureux du côté du roman, mais ici, force est d’admettre que l’affaire a bien tourné. "C’est un réel défi", concède Gil Adamson quand on évoque l’aspect lourdaud des livres de certains poètes ayant bifurqué vers le romanesque. "Je me souviens d’être entrée dans le salon et d’avoir dit à mon mari [le poète Kevin Connolly]: "Cette histoire que j’ai l’intention d’écrire, je ne veux pas que ce ne soit qu’une histoire, je veux que chaque phrase soit forte, qu’elle montre tout ce dont je suis capable." Alors j’ai employé la même matière pour écrire ce roman que pour écrire un poème, mais je dois dire, et Kevin est d’accord sur ce point, qu’il y avait là un risque. La substance poétique peut devenir trop dense, opaque. C’est d’ailleurs arrivé par moments, des sections avaient besoin d’oxygène."

Rassurez-vous: Adamson en est arrivée à une étonnante fluidité, un rythme à la fois dru et contrôlé. Il faut dire que l’auteure, friande de western et de séries comme X-Files, aime le suspense et, bien que l’essentiel de La Veuve soit ailleurs, a placé au coeur de son roman une mécanique effrénée, irrésistible. On ne s’étonne donc pas quand elle chante le génie de Cormac McCarthy. "Je l’adore. Sa langue, entre autres, est d’une grande simplicité, d’une grande efficacité, mais aussi d’une richesse inépuisable."

Quand elle souligne que, pour ces mêmes raisons, traduire McCarthy n’est pas de tout repos, on lui fait remarquer que la traduction de son roman à elle n’a certainement pas été une sinécure. "Je sais!" s’écrit-elle sans fausse modestie. "Dans le cas du français, heureusement, je connais assez la langue pour goûter la musique, pour sentir le relief de la traduction, alors il est clair pour moi que Lori Saint-Martin et Paul Gagné ont relevé le défi."

Ces derniers ont en outre compris qu’au-delà d’une histoire de fugitive, il y avait ici un fabuleux corps à corps avec la nature. C’est cette nature que l’on doit d’abord entendre bruire entre les mots… "La veuve était dans les montagnes depuis six jours et six nuits, seule, et elle n’avait toujours aucune idée de l’endroit où elle se trouvait. Pourtant, elle n’avait pas peur. […] Elle était là, seule dans la nature sauvage, étrangement heureuse."

La Veuve
de Gil Adamson, trad. par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Éd. du Boréal, 2009, 424 p.

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La Route de Cormac McCarthy

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LA VEUVE

Une jeune femme de 19 ans fuit par monts et par vaux. À ses trousses, deux géants roux, deux jumeaux qui veulent lui faire la peau. Nous voilà entraînés dans la course de Mary Bolton, dite la veuve, avant même de savoir qui elle est. Elle a tué son mari, les jumeaux sont ses beaux-frères, ça on l’apprend tôt, mais le pourquoi de sa fureur ne sera distillé qu’au fil des chapitres, les mots venant peu à peu remplir les pans d’ombre. Étonnante route en solitaire, ponctuée de quelques rencontres fortes, dont celle d’un ermite, dans cette zone vierge des Rocheuses où ses pas l’ont guidée. Route qui fait parfois des détours du côté du délire, quand des silhouettes brumeuses remontent du fond des eaux pour éveiller son douloureux passé. Gil Adamson épargne peu sa protagoniste et à peine davantage son lecteur. On pose chaque fois ce livre avec l’impression d’avoir couru dans les bois, puis éteint notre fièvre en plongeant le visage dans un ruisseau glacé. Du grand art, vraiment.

La Veuve
La Veuve
Gil Adamson
Boréal