Perrine Leblanc : L’homme qui vit
Joli tour de force, Perrine Leblanc remporte avec son premier roman le Grand Prix du livre de Montréal devant Marie-Claire Blais et Louis Hamelin… Rencontre avec une des révélations de l’automne.
C’est une bonne chose que L’Homme blanc soit mis en lumière par un prix. Présenté sobrement – rectangle rouge sur fond beige -, sujet dur, éloigné de la réalité québécoise actuelle, L’Homme blanc est l’histoire d’un homme né dans un camp de travail des monts K. en Sibérie, orphelin dans le goulag avant de se faire pierrot dans un cirque de Moscou… Mais attention! Il ne faudrait pas passer à côté de cette voix forte qui s’élève, d’une plume assurée qui déploie une perspective singulière avec une remarquable justesse de ton.
Écriture moderne pour un sujet vintage et douloureux, donc. La narration est fluide, presque neutre, collée à l’action. Le personnage principal, Kolia, porte son passé comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête, mais ne s’apitoie jamais sur son sort et trouve la force de donner une nouvelle direction à sa vie en s’enrôlant comme clown. "Le sujet est tellement dramatique que si on veut éviter la surenchère, il faut user de retenue, dit l’auteure de 30 ans qui travaille au service éditorial des éditions Leméac. À la lecture des Jean Echenoz, Pascal Quignard et Pierre Michon, j’ai compris qu’il était possible de raconter des vies marquées et marquantes." Le récit donne l’impression d’avoir été longuement mûri, mais écrit dans un court délai; il y a quelque chose de concentré dans cette écriture nette, claire et précise; on touche à l’essence. "Ça représente deux années d’écriture étalées sur cinq ans, trois versions dont la dernière fut bouclée en quelques mois. Le personnage a évolué, j’ai voulu aller au plus près du récit… Je crois au travail."
Campé dans les territoires russe, sibérien et roumain, le roman est bien détaillé et donne à voir, que ce soit dans la construction du décor, dans l’énumération de produits utiles à la vie quotidienne (marque de parfum, de réfrigérateur, de gomme) ou même dans l’élaboration d’un "code du zek"; or l’auteure n’a jamais mis les pieds en Russie… Google Street View? "Non, plutôt des photos d’époque pour avoir une idée des vêtements, des couleurs, des odeurs. L’étincelle du roman m’est venue lors d’un voyage en Roumanie. Mon compagnon et moi, on s’était fait voler de l’argent devant une église: ça s’était fait tout en douceur, le voleur était un prestidigitateur. Le soir même à l’hôtel, à TV5, je suis tombée sur un reportage portant sur un homme né au goulag et qui volait des chevaux pour survivre…"
Dans une éclairante Note de l’auteure glissée en postface, Perrine Leblanc rappelle que "l’homme blanc", une expression empruntée aux Enfants du paradis de Marcel Carné, est aussi le nom que l’on donne au mime ou au pierrot, au personnage qui demeure muet sur scène. Pourquoi Kolia ne souhaite-t-il pas parler? Long silence, puis: "C’est un personnage-litote; en peu de mots, il arrive à signifier beaucoup. C’est quelqu’un qui a vu beaucoup; son métier lui permet de rire de tout sans se mettre en danger avec les mots."
L’Homme blanc
de Perrine Leblanc
Éd. Le Quartanier, 2010, 173 p.
À lire si vous aimez /
Le Mal noir de Nina Berberova, L’Écriture ou la Vie de Jorge Semprún, les cirques slaves
Dans L’Homme blanc, on suit la ligne de vie d’un homme né dans un camp de travail de Sibérie, qui se fera clown aussitôt relâché pour ensuite subir d’autres contrecoups du destin (la terrible prison de La Zona alors qu’il est innocent), tout cela dans un territoire hostile et déshumanisant, à une époque où il ne fait pas bon être marginal. Le succès de ce premier roman tient en partie au contraste entre un sujet grave et gris et la narration limpide, jamais emphatique. Mentionnons aussi la manière de tirer le portrait des personnages gravitant autour du protagoniste, avec une précision étonnante, comme ce jongleur dont la polygamie "était une déformation professionnelle". Premier roman mûr, qui n’a pas les défauts des premières oeuvres, et qui sort des sentiers battus, L’Homme blanc est une des belles surprises de l’automne.
Je n’ai pas compris pourquoi L’homme blanc a remporté tous ces prix. Je l’ai lu et j’ai trouvé ça profondément mal écrit (j’essaie de dire ça le plus poliment possible). Il est clair que l’auteur a fait suffisamment de recherches sur la Russie, mais les nombreuses informations factuelles présentées me rappellent une liste d’épicerie.
Il n’y a aucune émotion dans cette écriture. En tant que lectrice, je n’ai pas pleuré lorsque Pavel est mort, je ne me suis pas rongée les ongles lorsque Kolia s’est fait torturé, je n’ai pas été touché lorsqu’il a retrouvé la « tombe » (fosse commune) de Iossif.
Le roman passe beaucoup trop vite sur les éléments du récits et surtout sur la psychologie des personnages. Le lecteur ne réussit pas à créer un lien, à se sentir près des personnages. Le livre manque de descriptions. Par exemple, l’auteur nous raconte qu’à sa sortie des camps, Kolia se sentit observé et mal à l’aise pendant trois mois. Et voilà, c’était la seule phrase sur ce sujet. Les trois mois sont passés, à la prochaine phrase on est passés à autre chose. Pas même une anecdote pour ILLUSTRER le fait que Kolia ne se sent pas à sa place dans ce monde nouveau pour lui.
Il y a aussi certaines erreurs de longue, comme un mauvais référent à un pronom. « Pavel tomba malade, donc Kolia s’occupa d’elle. » Pavel est un homme et le lecteur est surpris par cette phrase et se demande à qui réfère le « elle ». C’est en fait la fille de Pavel, mais de l’écrire de cette façon est une faute. Il aura fallu la nommer, utiliser son prénom, puisque le pronom réfère au dernier nom utilisé, dans ce cas-ci Pavel.
Tout ça reflète mon opinion et ma réaction à la lecture du livre, mais plusieurs personnes ont visiblement aimé ce livre, puisqu’il a remporté le Prix du Gouverneur Général du Canada en 2011 et le Grand Prix du Livre de Montréal en 2010. Je ne comprends tout simplement pas…
Kolia est né dans un goulag situé au pied d’une montagne voisinant la Kolyma, un affluent de l’Arctique. Chose impensable pour un enfant d’un camp de la mort incapable de parler, il apprend à s’exprimer et à écrire, voire même à maîtriser le français d’un quidam cultivé.
Grâce à lui, il protège sa dignité même s’il est affecté à des tâches répugnantes qu’il exécute sans regimber pour qu’on ne lui enfouie pas la tête dans des matières fécales. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, auxquels Michel Solomon fait allusion dans Magadam.
Des rencontres fortuites dans les bars l’amènent finalement à intégrer le célèbre cirque de Moscou comme pantomime grâce à son habileté de pickpocket. En fait, c’est moins un roman que la biographie fictive d’un pierrot, l’homme blanc du titre, qui a vécu l’histoire de la Russie, de l’époque stalinienne à 1995. Si ce métier a réconforté le héros, sa vie intime fut moins brillante.
Le camp sibérien marque un homme à tout jamais. Et quand une suspicion paranoïaque devient l’art de vivre, une soif de reconnaissance, de convivialité et d’amour hiberne sans connaître de printemps. Le roman laisse voir la bride qui sert de rétention au bonheur. Sans pénétrer la métaphysique russe, l’auteure développe, à partir d’éléments factuels seulement, un existentialisme menant à considérer la vie comme une amertume que le peuple cache sous une carapace formée d’impassibilité pour ne pas être suspecté de subversion.
Cette conduite confère au roman une froideur clinique. Les émotions chassées du paysage, il ne reste que les gestes d’une vie dérisoire, devenus obligés dans un pays totalitaire. C’est sans prétention que l’auteure décrit ce contexte déprimant. L’œuvre se ressent de l’harmonisation de l’absence de sentiments à l’écriture. La lecture devient ainsi un exercice aride dont on a hâte de se débarrasser. Ce bémol aurait dû retenir le jury d’octroyer à Perrine Leblanc le prix de la ville de Montréal 2010.