Perrine Leblanc : De but en blanche
Ils sont une poignée à avoir séduit l’édition française, au nombre desquels figurent Réjean Ducharme et Naïm Kattan. Perrine Leblanc se joint au rang des écrivains québécois publiés dans la mythique collection blanche de Gallimard.
Une jeune femme de Victoriaville, l’aube de la trentaine à peine levée, un manuscrit dans la poche, entreprend l’aventure de sa vie. Avec L’homme blanc, le tout premier roman de Perrine Leblanc, une nouvelle étoile littéraire est née.
C’est sa rencontre avec les éditeurs Éric de Larochellière et Alain Farah, du Quartanier, qui donna naissance à ce tout petit objet au parcours improbable. La suite des choses à été maintes fois couverte par l’actualité du monde des lettres: L’homme blanc remporte le Grand Prix du livre de Montréal, doté d’une bourse de 15 000 $, devant les Marie-Claire Blais et Louis Hamelin. La critique l’encense et la propulse au sommet des palmarès. "J’ai vécu pendant des années dans l’insécurité et on m’a souvent méprisée; ce sont des violences qui marquent une vie. Mais les choses ont changé l’automne dernier, c’est un enchantement!" dit celle qui transpose la violence avec grâce dans son récit d’une enfance au goulag.
Au moment où elle recevait ici ses lettres de noblesse, son roman sobre, voire sévère, circulait déjà en France. Un ami, correspondant de la jeune auteure, transmet sans même l’avoir lu le manuscrit à son propre éditeur, ce qui donna suite à un appel inattendu. "Un secrétaire chez Gallimard m’a téléphoné au début du mois d’octobre pour me dire que le texte serait défendu au comité de lecture. J’ai dû me pincer, oui…" se rappelle l’écrivaine. En décembre, on la rappelle pour lui dire qu’Antoine Gallimard, petit-fils du fondateur, directeur de la maison et président du SNE de France, approuve la publication. "Tu veux savoir ce que j’ai fait après la signature des contrats avec Gallimard en février dernier? De l’insomnie, en souriant de bonheur!"
Fondée en 1919 (Marcel Proust fut parmi les premiers à y être publié), Gallimard est l’une des plus influentes maisons d’édition au monde. Pas moins de 35 de ses auteurs ont reçu le prix Goncourt, 36 le prix Nobel. Plus éloquent encore, elle reçoit près de 6000 manuscrits par année, parmi lesquels L’homme blanc s’est démarqué. "J’ai beaucoup aimé ma rencontre avec mon éditeur français, j’ai pu lui parler de mes projets; j’ai vraiment senti qu’on s’intéressait à l’oeuvre à faire, pas seulement à L’homme blanc", raconte Leblanc.
Cet oeuvre qui s’amorce est résolument marqué par un souci de fiction pure. L’homme blanc est un récit de l’ailleurs riche de sa matière historique et des recherches iconographiques de l’auteure. Une Russie d’après-guerre, un cirque slave, un auguste orphelin à des lieues de nous se prêtent à la fresque qui n’est pas sans rappeler les biographies d’Echenoz. "Je crois au pouvoir de l’imaginaire, au récit et au personnage. Ce qui ne m’empêche pas d’apprécier certaines voix que l’autofiction a fait naître. Un livre réussi est un livre réussi, peu importe le genre et l’histoire qu’il raconte", souligne-t-elle.
Par ailleurs, c’est la précision du langage, la clarté de la prose longuement travaillée qui, au-delà de la force de l’histoire, en font le succès. "J’écris ce que j’ai envie de lire. Je n’ai pas envie d’entendre dans mes livres ma voix du quotidien, le langage du courriel aux amis, ce qui relève, en somme, de la communication. Je retravaille jusqu’à la fin, je peaufine et coupe beaucoup."
Perrine Leblanc, qui était employée jusqu’à récemment au service des manuscrits des éditions Leméac, se consacrera désormais à l’écriture de cet oeuvre à faire, en explorant toutefois une nouvelle approche littéraire. "Mon prochain roman ne nécessite aucune recherche importante, j’ai choisi de m’investir dans des voix de femmes et le récit est contemporain." Cruellement discrète, la belle ne dévoilera rien de plus sur ses projets, tant ici qu’en Europe. Pudeur ou prudence, c’est du moins une retenue idoine à sa voix narrative que nous révèle en se taisant Perrine Leblanc.
L’homme blanc
de Perrine Leblanc
Éd. Le Quartanier, 2010, 184 p.
Programmation complète du Salon international du livre de Québec au www.silq.ca
À lire si vous aimez /
Les biographies fictives de Jean Echenoz, Terrasse à Rome de Pascal Quignard, L’homme qui rit de Victor Hugo
Tout au long de ma lecture, je n’ai pu retenir ma question : pourquoi un tel succès à ce premier roman écrit par une jeune femme, jusqu’alors inconnue, traitant de la Russie sans y avoir mis les pieds, nous séduisant avec un Russe assez rustre ?
On veut comprendre, comme si c’était possible de toucher à la recette invisible, et la faire sienne.
J’ai trouvé des réponses, mes réponses, et les voici. Qui n’aime pas les personnages forts ? Qui n’aime pas les histoires qui savent les cadrer avec juste ce qu’il faut de lumière pour que la photo soit naturellement artistique sans être nécessairement esthétique.
Kolia est cet homme mal né qui, par la force de son caractère, déploiera une énergie constante pour se sortir de ses prisons. On s’attache à un tel homme, d’autant plus qu’il ne fait rien pour séduire. Il m’a par ailleurs fait penser à un bélier trapu non belliqueux.
On aime habituellement les histoires où une personne mal partie s’en sort, sans baguette magique, mais avec sa volonté. On n’aime pas la complaisance de la faiblesse, on aime la force qui se démarque. Et pas cette force superflue de nos temps modernes, mais de l’indispensable, ce celle pour sauver sa peau. Pour grimper les échelons d’une élémentaire fierté, évitant le rampement sous une botte.
Nous partirons d’un monde de dureté et de violence (prisons de Staline) pour se rendre à un monde d’amusement et de distraction (le cirque), arpentant un bien nécessaire, la discipline.
J’ai particulièrement aimé les débuts où la dureté est à son paroxysme, à ces moments où Kolia n’est même pas au pied de la montagne à escalader. C’est là où j’ai vécu le plus d’intensité. Lui aussi d’ailleurs, je veux dire le personnage. Quand il sera « grimpé», il aura besoin de se donner du frisson, misant le tout pour le tout pour un simple hobby. Cela me l’a rendu plus humain, moins réglé au quart de tour.
Par le style impersonnel, chaud de mots justes et froid de ton neutre (tout de même pas autant qu’au journal télévisé!) les horreurs coulent sur les phrases comme sur le dos d’une portée musicale sans trémolo.
Et quand, vers la fin, poindra le profil d’une prégnante gratitude, le roman en sera traversé à rebours, pour finir loin de la banalité. Ce qui donnera une chair sensible au cœur du Kolia, faisant monter d’un cran l’émotion.
Il n’y a pas à dire, l’auteure sait manier ses effets.
Ce roman a valu, à son auteure, le prix de la ville de Montréal 2010. Il se distingue par sa grande sobriété. Loin du discours didactique, il saisit le faix d’un homme dans un pays, où le peuple est suspecté de subversion par ses dirigeants. Ce n’est pas la dénonciation d’un régime, mais de la résilience des habitants démontrée à travers un personnage né dans un goulag situé au pied d’une montagne voisinant la Kolyma, un affluent de l’Arctique. C’est la vie qui triomphe en dépit d’un contexte voué au déclin de l’humanité.
La primauté de la cause excluant les liens de sang, Kolia, le héros du roman, est fin seul pour envisager une existence qui vaut la peine d’être vécue. Chose impensable pour un enfant d’un camp de la mort, mais il a survécu à l’invasion mortelle de l’âme grâce à un quidam cultivé, qui lui a donné la meilleure arme pour résister aux contraintes, soit celle de l’instruction. Lire et écrire composent les deux volets qui ont assuré sa dignité même s’il était affecté à des tâches répugnantes, comme le rappelle l’univers concentrationnaire décrit par Michel Solomon dans Magadam, ville où vécut Kolia après la fermeture du camp avant de se rendre à Moscou. Des rencontres fortuites dans les bars l’amenèrent finalement à intégrer le célèbre cirque de la capitale comme pantomime, l’homme blanc du titre, grâce à son habileté de pickpocket.
Perrine Leblanc suit les traces de l’âme russe, de l’époque stalinienne à 1995. Si son héros a été réconforté par son travail de pierrot, sa vie intime fut moins éclatante. Le camp sibérien marque un homme à tout jamais. Quand la suspicion paranoïaque devient l’art de vivre, une soif de reconnaissance, de convivialité et d’amour hiberne sans connaître de printemps. Faut-il en conclure que les régimes politiques sont les prémisses des malheurs de l’humanité ? Sans pénétrer la métaphysique russe, l’auteure développe, à partir d’éléments factuels seulement, un existentialisme accrochant la vie à l’effigie de l’amertume.
L’écriture est suffisamment rapide, malgré ses lourdeurs, pour nous happer et nous entraîner vers un dénouement, qui indique que l’on plante des balises utiles en dépit des circonstances. Comme Le Travail de l’huître de Jean Barbe, L’Homme blanc révèle, sans prétention, que le peuple est menacé d’être condamné à une vie frelatée.