Yôko Ogawa : Degré zéro de l'écriture
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Yôko Ogawa : Degré zéro de l’écriture

Dans un livre qui flirte avec l’autobiographie, Yôko Ogawa dévoile ses angoisses existentielles et professionnelles.

Au cours de l’interview qu’elle accorde à une journaliste, une écrivaine s’aperçoit que celle-ci ne s’intéresse pas vraiment à ses histoires d’enfance un peu trop banales. Lors d’une soirée donnée en l’honneur d’un collègue, la même dame repère un pilleur de cocktail et s’identifie à lui, ses complexes l’amenant à se demander si elle est bien l’auteure des romans qu’elle a écrits. Sans compter que chaque nouveau cas médiatisé de plagiat artistique lui fait craindre d’être dénoncée à son tour, elle qui a autrefois signé une nouvelle inspirée du roman d’un écrivain célèbre…

Intéressante entreprise formelle que ce Manuscrit zéro dans lequel se révèlent les angoisses d’écrivain de Yôko Ogawa. Présenté comme un carnet où la narratrice relate certaines activités liées à sa profession (rapports avec son réviseur, participation à des colloques ou à des remises de prix, enseignement…), l’ouvrage se maintient dans les marges de l’ambiguïté. L’auteure a-t-elle réellement vécu les faits relatés ici ou ne sont-ils que le produit de son imagination? Adressés ultimement à sa mère qui meurt à l’hôpital, les propos voués à distraire celle-ci semblent volontairement équivoques: "je ne sais plus si ce que je raconte je l’ai vraiment expérimenté ou si ce ne sont que les grandes lignes d’un roman que j’ai écrit".

À une époque où tout artiste se doit de soigner sa "posture", l’auteure japonaise se complaît donc dans un complexe sophistiqué de l’imposture. D’où le sentiment de malaise qui l’habite où qu’elle se trouve, sa volonté de passer inaperçue l’amenant à cultiver "l’art de se dissimuler au regard des gens", d’"éliminer tout signe sur [son] corps qui [la] déterminerait". À l’image des coquillages et des chrysalides qu’elle dépeint de manière méthodique, le personnage de l’écrivaine ne semble évoluer ici que repliée sur elle-même, souffrant d’un manque criant de confiance en elle.

De ses rêveries d’une promeneuse circonspecte – écrites avec un minimum d’affect – se dégage par ailleurs la crainte du néant, de la perte ou de la disparition.

Le premier fragment où elle décrit sa visite d’un restaurant spécialisé dans les mousses végétales inaugure ainsi la thématique de la nourriture qui parcourra le livre. Une nourriture souvent avariée qui lui rappelle les friandises moisies servies par sa grand-mère, préfigurant la fin de toute vie à l’instar d’autres motifs tels que la sédimentation des feuilles mortes foulées par la marcheuse et le pourrissement du corps de sa mère sous l’effet de la maladie. Beau et dur rappel de notre condition mortelle que parviennent à transcender les mots de Yôko Ogawa.

Manuscrit zéro
de Yôko Ogawa
Trad. de Rose-Marie Makino
Éd. Actes Sud, 2011, 234 p.

Manuscrit zéro
Manuscrit zéro
Yoko Ogawa
Actes Sud