Pierre Nepveu : Gaston Miron. La vie d’un homme
Toute entreprise biographique est pure folie. Tenter de tracer, au milieu d’une forêt de données, de témoignages, de traces écrites ou audiovisuelles, un chemin vers la vérité d’une existence humaine, représente à coup sûr des mois d’un travail quasi monastique, durant lesquels vont se heurter l’impératif de la précision factuelle et la nécessité pour l’auteur de choisir, découper, proposer une lecture neuve de son sujet. Folie plus grande encore si le sujet en question a pour nom Gaston Miron (1928-1996). La forêt s’étend alors aux confins d’un bouclier canadien à la fois réel et rêvé, se peuplant de figures, féminines entre autres, bien concrètes au départ, mais aussitôt avalées par l’oeuvre et changeant par le fait même de nature, suivant une trajectoire que le poète a lui-même souvent réinterprétée. La réussite de Pierre Nepveu est à la mesure des difficultés initiales. Son Gaston Miron demeure d’un bout à l’autre précis, servi par une langue sobre, d’une grande souplesse, mais à même de montrer par quels processus la vie de ce fils des Laurentides et de ses rudes saisons, devenu frère Adrien avant de revenir à la vie laïque, puis journaliste, éditeur et surtout poète d’un seul livre mais quel livre, a nourri et modelé l’imaginaire. Parce que l’envergure de l’écrivain réside en bonne partie ici: après un apprentissage difficile des formes du poème (ses premiers essais ne laissent rien deviner d’une oeuvre majeure), Miron parvient à embarquer le lecteur dans ce "voyage abracadabrant" où transparaîtront ses propres fractures et ses propres élans, mais aussi ceux de tout un peuple et de tout un territoire. Avec beaucoup d’affection pour son sujet, mais une franchise et une implacable lucidité devant ses contradictions, qui pourront en choquer certains, Nepveu signe bel et bien le livre-événement annoncé, désormais référence incontournable pour qui veut avancer en mironnie. Éd. du Boréal, 2011, 920 p.