Guy Delisle : Carnets d'Orient
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Guy Delisle : Carnets d’Orient

Guy Delisle poursuit son tour du monde en bande dessinée dans de passionnantes Chroniques de Jérusalem.

2008-2009. Père d’un deuxième enfant, Guy Delisle accompagne de nouveau sa femme que Médecins sans frontières envoie cette fois dans la bande de Gaza. De Beit Hanina (Est de Jérusalem) où se trouve leur appartement, le bédéiste parcourra la Ville sainte poussette au bout des bras ou carnet de croquis à la main, goûtant à la "vie exaltante de la femme au foyer" et adoptant le point de vue de l’étranger dont la visite est assez longue pour lui permettre d’approfondir ses connaissances. Présent durant l’opération "Plomb durci" (bombardements israéliens sur Gaza ayant fait 1400 morts), il se transformera même en correspondant de guerre l’espace de quelques planches bien senties.

Le séjour israélien semble être arrivé à point nommé dans l’oeuvre de Delisle. Shenzhen, Pyongyang et Chroniques birmanes présentaient des univers somme toute unidimensionnels, l’auteur y étant aux prises avec la réalité kafkaïenne de peuples soumis aux pires régimes totalitaires de la planète (Chine, Corée du Nord, Myanmar). Le contexte israélien, en principe démocratique, apparaît davantage complexe, ne serait-ce que parce qu’une population des plus diversifiée s’y partage un minuscule territoire, foyer de tensions constantes: juifs, musulmans, chrétiens, Bédouins, Samaritains, sans oublier une foule d’expatriés…

C’est donc aussi un monde de constantes contradictions qui défile dans cet album où les images parlent parfois bien plus que le texte. Contradiction entre des valeurs traditionnelles et un consumérisme assumé: celui de ces rabbins ultra-orthodoxes se promenant un portable scotché à l’oreille ou de ces musulmanes faisant leurs emplettes dans un supermarché des territoires occupés (que les expatriés évitent pour ne pas encourager la colonisation). Contradiction entre le contexte militaire et l’extrême liberté de la presse locale. Contradiction entre les promenades paisibles que l’on s’offre dans la vieille ville et les bombardements qui ont lieu sur la population palestinienne voisine…

Pour rendre compte de cette complexité, le bédéiste épure plus que jamais sa ligne claire, tout en s’adonnant à la couleur (pour la première fois dans ses mémoires), faisant alterner les vignettes où dominent tour à tour un gris bleuté et un gris aux teintes de brun. Avec un scénario réglé au quart de tour, l’auteur cultive d’efficaces ellipses, les nombreuses explications (essentielles pour rendre compte du contexte) étant suivies de silences bienfaisants. L’impression d’une machine trop bien huilée que donne d’abord ce quatrième opus laisse peu à peu place à la fascination exercée par les expériences personnelles que Guy Delisle partage si généreusement.

Chroniques de Jérusalem
de Guy Delisle
Delcourt, collection "Shampoing", 2011, 334 p.

Chroniques de Jérusalem
Chroniques de Jérusalem
Guy Delisle
Delcourt